Lectio divina du 22 janvier 2023 : 3ᵉ dimanche ordinaire (A)

Evangile de Jésus Christ selon st Matthieu (4, 12-17)

12 Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean le Baptiste, il se retira en Galilée.
13 Il quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord de la mer de Galilée, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali.
14 C’était pour que soit accomplie la parole prononcée par le prophète Isaïe :
15 Pays de Zabulon et pays de Nephtali, route de la mer et pays au-delà du Jourdain, Galilée des nations !
16 Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée.
17 À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »

 

Réflexion ligne à ligne pour aider et guider la lectio divina

12 Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean le Baptiste, il se retira en Galilée.

Ce passage arrive jute après les tentations au désert (Cf Mt 4, 1-11). Nous pouvons en tirer une leçon : si Jésus affronte avec courage et lucidité les tentations du démon, il se retire face à la brutalité des hommes. En d’autres termes, Jésus sait livrer les bons combats. Il est venu pour nous sauver de la mort et du péché, pour nous inviter à la conversion et nous faire enter dans le Royaume des cieux, comme nous le lirons dans quelques versets (cf V 17). Le premier combat du Seigneur est donc d’abord un combat pour notre vie intérieure. La conversion devrait ensuite nous transformer aussi dans nos vies sociales et communautaires, de sorte que le mensonge et la violence soit exclus. Mais c’est bien dans ce sens : conversion du cœur puis conversion des comportements que les choses doivent évoluer. Il ne s’agit pas de se heurter à la violence dans un rapport de force, sinon c’est déjà perdu car seule une violence plus grande pourrait l’emporter. Il s’agit non de dominer la violence mais de la faire disparaître par une civilisation de l’amour dont le sommet se trouve dans les paroles même de Jésus :
38 Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent.
39 Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre.
40 Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.
41 Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
42 À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !
43 Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
44 Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent,
45 afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
46 En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
47 Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
48 Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Et peut-être mieux encore dans la formule de saint Luc :
27 Mais je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent.
28 Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.
29 À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique.
30 Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
31 Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.
32 Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
33 Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant.
34 Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
35 Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants. 
36 Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
37 Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. (Lc 6, 27-37)

L’amour de l’ennemi, le don total à l’autre, même quand il est violent ou injuste, le choix d’aimer et de servir en toutes circonstances, la rupture des cycles de violence, le choix de voir la personne plutôt que de s’arrêter à ce qu’elle fait, l’amour du frère en toute occasion, voilà ce que prêchera le Seigneur. Mais pour cela, il faut qu’Il puisse toucher les cœurs et non commencer par une opposition avec les puissants. D’où le retrait prudent. Arrivera un jour où « l’heure sera venue » et où il se laissera arrêter et condamner. Là encore, il n’entrera pas dans un rapport de force qu’il aurait pourtant vu triompher :
52 Alors Jésus lui dit : « Rentre ton épée, car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée.
53 Crois-tu que je ne puisse pas faire appel à mon Père ? Il mettrait aussitôt à ma disposition plus de douze légions d’anges.
54 Mais alors, comment s’accompliraient les Écritures selon lesquelles il faut qu’il en soit ainsi ? » (Mt 26, 52-54)

Mais il assumera la douceur et la non-violence jusqu’à la condamnation pour montrer que l’amour de Dieu est vainqueur de tout, même de la mort.

Et nous ? Comment menons-nous nos combats ? Où en est notre douceur, notre non-violence ? Savons-nous chercher plutôt le bien et la conversion des personnes que la victoire et la puissance sur nos ennemis ? Résolvons-nous les conflits par la force ou par l’amour ?

13 Il quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord de la mer de Galilée, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali.

Il y a bien sûr un choix stratégique : Capharnaüm est plus gros et plus célèbre que Nazareth. C’est une ville située au bord du lac, ce qui donne des possibilités intéressantes de déplacements et de rencontres… Il y a aussi un choix prophétique dont nous verrons la raison juste après. Mais nous pouvons aussi y voir une autre raison. Commençons par une citation :
03 Des pharisiens s’approchèrent de lui pour le mettre à l’épreuve ; ils lui demandèrent : « Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif ? »
04 Il répondit : « N’avez-vous pas lu ceci ? Dès le commencement, le Créateur les fit homme et femme,
05 et dit : À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair.
06 Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mt 19, 3-6)

Mettons là en comparaison avec une phrase du Baptiste :
28 Vous-mêmes pouvez témoigner que j’ai dit : Moi, je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé devant lui.
29 Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux ; quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite.
30 Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue.

Ainsi Saint Jean Baptiste compare-t-il Jésus, qui est le Christ, à l’époux, et Israël, qui est le peuple de Dieu à l’épouse. Il faut donc que Jésus quitte son père et sa mère (Marie et Joseph l’ont élevé à Nazareth dont il part) pour s’unir au peuple de Dieu qu’il rencontre tout spécialement autour du lac, lieu de communication par excellence. Désormais Jésus ne fait plus qu’un avec le peuple vers lequel Dieu son Père l’a envoyé.

Et nous ? Sommes-nous conscients de faire partie de l’épouse du Christ, l’Eglise ? Avons-nous ce désir de ne faire qu’un avec Lui, d’être en communion avec Lui ? Et sommes-nous aussi prêts à ne faire qu’un seul corps, qu’une seule épouse avec tous nos frères appelés à cette même relation avec le Seigneur ? Saurons-nous quitter nos conforts et nos certitudes pour nous unir à tous ceux qui cheminent vers le Seigneur ou même qui ne le connaissent pas encore mais sont tout de même appelés par lui ?

14 C’était pour que soit accomplie la parole prononcée par le prophète Isaïe :

Voici l’une des grandes citations de Saint Matthieu. S’il en fait tout au long de l’Evangile, il en existe une dizaine explicite et solennisée comme celle-ci. Elles émaillent tout l’évangile mais sont plus fréquentes dans les premiers chapitres. Il s’agit pour l’auteur, qui s’adresse essentiellement à des juifs, de les convaincre que Jésus est bien le Christ, le Messie qui accomplit les écritures.

Et nous ? Cherchons-nous aussi dans le premier Testament ce qui peut nous éclairer sur le sens des paroles et des actes du Seigneur ? Savons-nous voir, dans ces paroles et actes du Christ, l’accomplissement des prophéties qui prouvent que Dieu tient toujours ses promesses et que le Seigneur est bien ce qu’il prétend ? La règle édictée par l’Eglise primitive : « le Premier Testament annonce le Nouveau et le Nouveau Testament accomplit le Premier », est-elle pour nous une source d’inspiration pour notre manière de lire et de prier la Parole. En ce dimanche de la Parole, saurons-nous chercher à en apercevoir la cohérence et la continuité interne si extraordinaire ?

15 Pays de Zabulon et pays de Nephtali, route de la mer et pays au-delà du Jourdain, Galilée des nations !
16 Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée.

La citation vient de Isaïe 8, 23-9,1 :
23 Pas la moindre lueur pour celui qui sera dans l’angoisse. Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée des nations.
01 Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi.

Elle désigne le messie comme lumière ce que Jésus assume pleinement quand il affirme :
12 De nouveau, Jésus leur parla : « Moi, je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie. » (Jn 8, 12)

Ou encore
05 Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » (Jn 9, 5)

Et enfin
46 Moi qui suis la lumière, je suis venu dans le monde pour que celui qui croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. (Jn 12, 46)

Ce que le prologue de l’Evangile de Jean avait annoncé :
09 Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. (Jn 1, 9)

Mais elle nous apprend autant et même plus sur le peuple que sur le messie : il s’agit d’un peuple dans les ténèbres, un peuple qui n’a pas encore été éclairé par la Parole de Dieu. Il est question aussi de la Galilée des nations et de pays au-delà du Jourdain. Autrement dit, le peuple dont le Christ va se faire une épouse, le peuple pour lequel il quitte son père et sa mère n’est pas seulement le peuple d’Israël mais l’humanité toute entière que l’on peut croiser à Capharnaüm, étant donné sa situation géographique. Il y a là, dès le début de la vie publique, une affirmation du caractère universel de la mission du Christ qui se réalise pourtant essentiellement auprès du peuple juif.

Et nous ? Qui assumons-nous comme nos frères ? Vers qui nous sentons nous envoyés par le Seigneur ? Est-ce vers tous sans exception ? Avons-nous conscience de ne pas pouvoir choisir qui est notre prochain mais seulement de pouvoir l’accueillir, le chercher et l’aimer ? Sommes-nous convaincus que le Christ est venu pour sauver tous les hommes ? Sommes-nous conscients que c’est par nous qu’il va les rejoindre, les toucher, les sauver ? Sommes-nous des apôtres, des disciples missionnaires ?

17 À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »

Nous retrouvons ici ce qui nous a été dit de la même manière du prophète et précurseur saint Jean Baptiste :
01 En ces jours-là, paraît Jean le Baptiste, qui proclame dans le désert de Judée :
02 « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » (Mt 3, 1-2)

Le même verbe (proclamer) qui en grec donne le mot KERYGME, première annonce ou annonce première dans le sens de fondamentale, indépassable et attribuée à Jean comme au Seigneur, pour le même message. Une fois de plus, regardons-le de près :

Il comporte trois éléments : invitation à la conversion, annonce du royaume et affirmation de sa proximité.

Tout est centré sur le royaume. Il s’agit du Royaume des cieux. Cela contredit ou désillusionne ceux qui attendaient un royaume terrestre. Cette espérance reste pourtant forte et jusqu’au bout. Ainsi les disciples d’Emmaüs, après la mort (et la Résurrection qu’ils n’ont pas encore expérimentée) de Jésus, disent encore leur déception en ces termes :
21 Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. (Lc 24, 21)

Le Christ n’a pourtant cessé de combattre cette idée, notamment par les nombreuses paraboles du Royaume où celui-ci est comparé à des choses faibles ou humbles :
31 Il leur proposa une autre parabole : « Le royaume des Cieux est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a prise et qu’il a semée dans son champ.
32 C’est la plus petite de toutes les semences (Mt 13, 31-32)

Mais, comme nous bien souvent, les disciples et les foules ont entendu ce qu’ils ont voulu et pas toujours ce qui est dit…

Puis vient la promesse : le Royaume de Dieu est tout proche. Cela signifie à la fois que ce royaume vient, il s’approche et il est désormais « tout proche ». C’est une belle promesse car nous connaissons nos incapacités. Nous ne sommes pas capables d’aller aux cieux par nos propres forces mais nous savons que le Seigneur vient suppléer à cela en venant à nous. Mais cela signifie aussi que le royaume est là. Ce qui est proche de nous, nous ne le considérons pas comme absent. Quand quelqu’un est un proche, nous considérons l’avoir auprès de nous, avec nous. Le royaume est donc en même temps celui qui vient et celui qui est là. Ou plus exactement celui que nous pouvons trouver et que nous devons donc chercher. Saint Jean Baptiste formule les choses ainsi :

au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ; (Jn 1, 26)

Il est au milieu de nous, il est déjà là mais nous ne le connaissons pas, Il vient se faire connaître… Il est accessible puisqu’il est là, mais c’est à nous maintenant de le trouver car il est proche !

Voilà pourquoi cette promesse justifie l’invitation « convertissez-vous ». Se convertir : ce n’est pas tout changer (du moins pas toujours) mais c’est surtout regarder et aimer différemment pour découvrir ce qui est tout proche, ce qui est là mais que nous ne connaissons pas encore, que nous ne reconnaissons pas. Pour les contemporains de Jésus, il faut reconnaître dans le fils du charpentier de Nazareth le Fils de Dieu. Pour nous, il faut entendre, dans le texte biblique, la Parole de Dieu (c’est le premier enjeu de ce dimanche de la Parole) et plus encore, il faut faire entrer en harmonie la Parole de Dieu qui nous est proclamée et cette Parole personnelle et vivante qui retentit au fond de nos cœurs. Dieu nous parle personnellement et ne pourra se faire comprendre que si nous apprenons son langage, par la médiation de la bible et de ses merveilles dans nos vies.

Ainsi le Kérygme est une invitation à un chemin intérieur où nous apprendrons à regarder la réalité autrement, pour découvrir un royaume qui vient et qui est déjà là. Il est invisible mais nous pouvons le recevoir car Dieu qui parle en nos cœurs nous l’offre. Il s’agit de l’accueillir, de l’écouter, d’y croire et de l’aimer.

Et nous ? Entendons-nous cet appel ? Comment y répondons-nous ?

En guise de conclusion :
Ce texte commence donc par une promesse : celle d’un amour inconditionnel de Dieu qui se considère comme notre époux et fait, de nous tous, son épouse. Pour nous, il a renoncé à tout. Il a quitté père et mère (à Nazareth) mais il est sorti d’auprès du Père, pour nous annoncer la Bonne Nouvelle.

Nous voyons ensuite comment le Seigneur nous offre son amour en accomplissant les promesses faites par la bouche des prophètes, puis nous l’entendons nous faire une nouvelle promesse, celle d’une alliance nouvelle dans le Christ. Promesse qui est aussitôt tenue puisque c’est celui qui la formule qui l’accomplit.

Mais cette promesse accomplie ne portera de fruit en nous qu’en fonction de notre investissement personnel. Le Seigneur ne fait pas notre salut sans nous. Notre liberté est entière, il nous suffit de nous convertir…

A nous de jouer donc et cela dès maintenant, dès aujourd’hui.