Évangile du 22 mai

Lectio Divina du dimanche 22 mai 2022 : 6e de Pâques (C)

Evangile de Jésus Christ selon st Jean (Jn 14, 23-29)

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : 23: « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure.
24 Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé.
25 Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ;
26 mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.
28 Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi.
29 Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez.

Lecture ligne à ligne

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : 23: « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ;

Voici un premier thème de l’Evangile de ce jour : le lien entre l’amour pour Dieu et la fidélité à sa Parole. Juste avant, le Seigneur avait déjà dit :
21 Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime  (Jn 14, 21)
Notre verset est donc une reprise. Le Verset 21 parle de « commandement » reçu et gardé. Cela implique les notions d’obéissance (commandement), de disponibilité et de respect (reçu) de fidélité (garde). Notre verset 23 inclut donc tout cela mais il parle de parole et non de commandement, ce qui indique deux choses :

  • L’amour, le respect, la fidélité se manifestent pour toute parole du Seigneur et pas seulement sur un ordre. Il y a donc là une relation totale et non seulement une soumission. Le Christ insiste sur le lien entre : commandement et amour, mais ensuite sur le lien parole et amour, montrant ainsi qu’il s’agit d’une véritable proximité et même intimité : toute parole du Seigneur mérite d’être reçue et gardée.
  • On passe des commandements qui ne sont que quelques phrases à toute la Parole, c’est-à-dire à tout ce que le Seigneur a dit, tout son témoignage. Or il a dit lui-même que cette Parole est toute sa mission, le sens de sa vie sur terre :

38 Jésus leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. » (Mc 1, 38)
Il n’est donc pas compliqué de passer de cette parole à La Parole, le Verbe qu’Il est lui-même comme le dit le prologue de saint Jean :
14 Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. (Jn 1, 14)
Ce dont parle le Christ est donc de s’unir ou de rester uni à Lui et non seulement d’adhérer à une parole, une pensée ou une doctrine. La relation est non seulement totale et intime, mais elle est surtout une relation de personne à personne. Garder la Parole est bien un acte d’amour et non une conséquence obligée d’un amour qui serait autre.

Et nous ? Quel rapport avons-nous avec les commandements, les paroles du Christ et enfin La Parole qui est le Christ ? Pouvons-nous nous rappeler les commandements que le Christ nous a adressés ?

  • Le grand commandement :
    « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.

38 Voilà le grand, le premier commandement.
39 Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
40 De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » (Mt 22, 37-40)

  • Le commandement de la prière :

09 Vous donc, priez ainsi : Notre Père… (Mt 6, 9)

  • Le commandement de l’Eucharistie :

19 Puis, ayant pris du pain et rendu grâce, il le rompit et le leur donna, en disant : « Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » (Lc 22, 19)

  • Le commandement de la mission :

18 Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
19 Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,
20 apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28, 18-20)

  • Le commandement de l’Esprit Saint :

22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. (Jn 20, 22)
Ces commandements sont capitaux mais nous connaissons bien d’autres paroles du Seigneur : parabole, discours, prières… lesquelles retenons-nous pour nous, les connaissant plus ou moins par cœur pour les avoir présentes en nous à tout instant et en vivre ?
Et le Christ n’est pas que paroles, mais par ses actes et sa propre vie, il nous parle de Dieu ; il est la Parole, le Verbe. Quels actes, quels signes, quelles attitudes du Christ gardons-nous au cœur pour nous en inspirer à chaque instant ?

mon Père l’aimera,

Quelle belle promesse ! Que pouvons-nous espérer de mieux que d’être aimés du Tout-Puissant, parfait et éternel Seigneur de l’univers ?
Là encore dans le verset 21, le Christ avait déjà dit :
et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. » . (Jn 14, 21)
Dans ce verset, le Christ insiste sur le parallélisme entre la relation du disciple au Seigneur et la relation du Seigneur à son Père. Ici, Il souligne plutôt la réciprocité : l’amour va de l’homme à Dieu (le Fils) et de Dieu (le Père) à l’homme. Une telle réciprocité implique au moins une intimité parfaite entre le Père et le Fils, mais nous savons que c’est plus que cela : une parfaite unité.

Et nous ? quelle est notre Espérance ? Comment formulons-nous notre désir de Dieu, le but de notre vie, le sens de celle-ci ? Espérons-nous partager éternellement l’Amour de Dieu ? Contemplons-nous l’unité infinie et parfaite qui unit le Père et le Fils dans l’espérance de faire un jour partie de cette unité, de leur vie ?

nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure

Voici que la promesse de l’amour devient engagement, action concrète. De même que St Jacques nous invite à ne pas avoir seulement une foi de principe ou de paroles mais une foi qui agit :
18 En revanche, on va dire : « Toi, tu as la foi ; moi, j’ai les œuvres. Montre-moi donc ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi. (Jc 2, 18)
De même que le Christ nous demande de ne pas seulement proclamer la foi mais de la mettre en œuvre :
21 Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. (Mt 7, 21)
Ainsi le Père lui aussi ne se contente pas de promettre, mais il agit : il vient et fait en nous sa demeure.
Le Christ refait cette promesse dans l’Apocalypse :
20 Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. (Ap 3, 20)
On retrouve ici la réciprocité, entre Dieu et les hommes, qui montre que Dieu, ne s’arrêtant pas à notre indignité, fait de nous ses égaux : nous ne sommes que des créatures mais il fait de nous des fils. Nous sommes à son service mais, lui, nous aime !

Et nous ? Quelle est notre foi et par quelles œuvres la vivons-nous ? Quelle est l’œuvre de Dieu en nous ? Savons-nous la reconnaître, l’accueillir, nous en émerveiller et en vivre ?

24 Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles.

Cela pourrait sembler n’être que la formulation négative de ce qui a été dit précédemment, mais c’est plus que cela, c’est un critère de discernement : « si tu ne gardes pas les paroles, alors tu sais que tu n’aimes pas ». Celui qui aime garde les paroles mais fait aussi bien d’autres choses : ce sont les œuvres de la foi dont nous parle saint Jacques. On peut ainsi imaginer quelqu’un qui garde les Paroles mais qui ne vit pourtant pas de sa foi. Ce sont ceux dont il est dit qu’ils « écoutent mais ne mettent pas en pratique » ou encore qu’ils sont « semblables à l’insensé qui construit sa maison sur du sable. » (Cf. Mt 7, 26. Ce sont encore ceux qui, comme nous l’avons rappelé plus haut, disent « Seigneur, Seigneur » mais qui ne font pas la volonté de Dieu. Garder la Parole n’est donc pas un critère absolu de foi. Par contre, celui qui ne garde pas la Parole, celui-là ne peut prétendre aimer Dieu, le critère est, cette fois, absolu.

Et nous ? Comment gardons-nous cette Parole ? J’ai déjà parlé, au-dessus, des commandements, des paraboles, des discours, des prières, des gestes et des attitudes que nous connaissons. Mais au-delà du « par cœur », il s’agit ici de savoir comment cette Parole est « au cœur » : au cœur de nos vies, au cœur de nos pensées et de nos décisions, de nos choix et de nos discernements, de nos actions et de nos projets…

Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé.

Il y a quelques lignes, le Christ soulignait l’unité entre lui et son Père en exposant une réciprocité qui semblait asymétrique : les hommes aiment le Fils et c’est en retour, le Père qui les aime. Mais maintenant, Il montre leur différence : « pas de moi mais du Père ». Dans son humilité, Il se fait petit devant le Père. Dans son amour, Il veut faire du Père plus grand que Lui-même. N’allons pas en déduire une relation de domination ou de subordination. Quand on aime, on met l’autre en valeur, on le chérit, le révère et l’honore, on le met plus haut que soi. L’amour, pourtant, est un lien qui unit et met à égalité ceux qui s’aiment. C’est pour cela qu’il est si beau d’être aimé du Père et d’être invité à l’aimer. De même que le Christ n’est pas petit devant le Père par nature mais par amour et par humilité, de même nous n’avons pas, par nature, de valeur en face de Dieu mais seulement par l’Amour que Dieu a pour nous.
Ici, le Christ en profite encore pour donner toute sa noblesse à la parole qu’Il nous donne : elle n’est pas d’un homme mais de Dieu.
Enfin, si comme nous l’avons dit tout à l’heure, il faut passer de la parole au Verbe, cette phrase nous montre cet amour infini qui fait que le Christ se dépossède totalement de Lui-même pour s’offrir au Père : Lui qui est le verbe de Dieu n’est pas, n’agit pas de Lui-même mais seulement de par son Père. C’est précisément parce qu’il s’abandonne totalement au Père et se reçoit parfaitement de Lui que tous deux ne font qu’Un.

Alors ? Pouvons-nous accueillir cet exemple de don de soi, d’abandon confiant et humble pour devenir nous aussi des fils dans le Fils ? Et à défaut de comprendre, pouvons-nous contempler cet amour infini du Fils pour son Père pour nous en inspirer, aussi bien dans notre comportement vis-à-vis de Dieu, que vis-à-vis de nos frères ?

25 Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ;

Voici un grand mystère : le Christ vient de nous demander de garder sa parole ; maintenant, il nous fait comprendre que cette parole n’est pas adéquate. Elle correspond à ce temps, à son passage comme homme au milieu des hommes sur cette terre. Pourtant, bientôt il ne sera plus là et ne nous parlera plus de cette sorte. La parole humaine, nous devrons donc la garder mais en comprenant qu’autre chose doit advenir aussi. Ce qui est absolu, ce ne sont pas les paroles que nous devons pourtant garder mais le Verbe qui nous garde et nous enseigne.

Et nous ? Sommes-nous prêts à garder la parole mais à chercher en même temps au-delà des mots ? Pouvons-nous, au-delà de la sagesse et des exemples donnés par le Christ, rechercher la personne et l’amour, source de toute bonne action qu’est le Christ, le Fils de Dieu en nous et pour nous ?

mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.

Voici celui qui remplace sans dépasser la Parole. Il n’y a pas de concurrence et encore moins de hiérarchie entre le Verbe et l’Esprit. Au contraire, l’un et l’autre sont envoyés par le Père : l’un (l’Esprit) est envoyé au nom de l’autre (le Verbe) mais cet autre (le Verbe) ne restera présent que par l’action du premier (l’Esprit).
Le Christ est celui qui fait connaître toute chose :
tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. (Jn 15,15),
et l’Esprit est celui qui « enseignera tout ». Autrement dit il y a une parfaite unité entre le Fils et l’Esprit, aussi parfaite qu’entre le Père et le Fils. L’unité de ces derniers les pousse à coopérer pour l’envoi de l’Esprit. Et l’Esprit contribue au succès et à la pérennisation de la mission du Fils envoyé par le Père. Nous voici emportés dans ce grand mouvement de l’amour réciproque qui va de l’une à l’autre des personnes de la Sainte Trinité, qui les unit et unifie leur action sans les confondre ou les mélanger.
Quand le Christ parle de l’Esprit, il n’évoque plus de paroles mais de souvenirs et ceux-ci ne sont pas de l’Esprit mais du Fils, de sorte que notre seul accès au Christ est le souvenir qui vient de l’Esprit, mais notre seul accès à l’Esprit est la volonté du Fils et du Père et les Parole du Fils qui est le Verbe du Père. Tout cela nous dépasse largement mais nous indique et nous révèle ce que nous ne pouvons, ni voir, ni comprendre : il n’y a qu’un seul Dieu, parfaitement un, en trois personnes, parfaitement distinctes. Leur distinction ne les sépare pas et leur union ne permet pas de les confondre. Elles sont chacune vraiment Dieu parfait et infini et non pas un tiers de Dieu. Il n’y a pourtant pas trois Dieu mais un seul. Ce que nous ne pouvons, ni découvrir par notre intelligence, ni même comprendre, tant cela nous dépasse, nous pouvons le savoir par la Révélation de Dieu, le contempler par le cœur et espérer en vivre par la grâce.

Et nous ? Alors que la fête de Pentecôte se rapproche, comment vivons-nous de cette promesse de l’Esprit ? Comment nous laissons-nous enseigner par Lui ? Le laissons-nous faire remonter en nous le souvenir de toute parole, de toute vérité révélée par le Christ pour que nous grandissions dans la connaissance, et l’Amour de Dieu ? Le laissons-nous ainsi préparer en nous la rencontre avec ce Dieu si proche et si inaccessible, qui nous prend avec Lui, alors que nous ne pourrons jamais le contempler que dans la limite de notre condition de créature ?

27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ;

Dans le premier discours de Jésus, le sermon sur la montagne, le texte d’ouverture, les béatitudes nous faisaient déjà entendre :
09 Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. (Mt 5, 9)
La première parole du Christ ressuscité à ses disciples sera :
19 Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » (Jn 20, 19)
Et même, il la leur répétera.
La paix est donc au cœur de la prédication du Christ, avant comme après sa Résurrection. Saint Paul la place parmi les fruits de l’Esprit :
22 Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité,
23 douceur et maîtrise de soi. (Ga 5, 22-23)
Voilà pourquoi ce don arrive aussitôt après l’annonce de la venue de l’Esprit. Celui-ci est don du Père au nom du Fils, le don de l’Esprit est, entre autres, la paix, et la paix est un don du Fils, l’Esprit et le Fils font un don unique car leur action pour nous et en nous est une seule. C’est bien Dieu Lui-même, le Dieu Trinité qui nous veut dans la paix.

Alors, sommes-nous prêts à accueillir ce don, à profiter de cet héritage que nous laisse le Christ ? Et savons-nous quelle paix le Christ nous laisse ? Sur la terre, il a connu les tracasseries de sa famille, des autorités religieuses, des autorités civiles, de la foule et même de l’occupant romain, allant jusqu’à la condamnation à mort. Est-ce là la paix ? Alors quelle paix nous laisse-t-il ? Le seul avec qui le Christ n’est jamais en conflit, c’est Dieu son Père, c’est l’Esprit de Dieu. Bien qu’il soit homme, il n’est pas marqué par le conflit qui existe depuis l’origine entre l’homme, qui veut être Dieu sans Dieu, et Dieu qui veut faire de l’homme un fils de Dieu en communion d’amour éternel avec Lui. La paix du Christ c’est la paix avec Dieu. Ce qu’il nous donne, c’est la pleine réconciliation, c’est la communion possible avec le Père, mais en voulons-nous ?

ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne.

Cette phrase peut sans doute s’entendre de deux façons différentes. Il s’agit de savoir à quoi se réfère le groupe de mots « pas à la manière du monde ».

  • A la paix:

« Je vous donne pas la paix à la manière du monde ». Ce que je vous donne, c’est la paix à la manière de Dieu. Il ne s’agit pas seulement d’absence de conflit ou même de concorde, il s’agit de don de soi pour une communion pleine et entière. Ce n’est donc pas une relation entre deux personnes mais une union personnelle totale et accomplie. Cette paix s’apparente à l’union des trois personnes dans la Trinité.

  • Au don:

« Je ne vous donne pas la paix comme le monde pourrait la donner ». Quand on donne dans le monde, c’est qu’on fait passer la propriété d’une personne à une autre. Du coup, la première n’a plus ce qu’elle avait ; la seconde obtient ce qu’elle n’avait pas. Mais le don de Dieu n’est pas ainsi : le don de Dieu est partage et participation, de telle sorte que le premier et le second possèdent chacun en plénitude ce qui est donné. Dés lors, le premier n’est pas privé de ce qu’il avait mais il renonce d’une certaine manière à ce qu’il est, il n’est plus le possesseur mais un des possesseurs, Il renonce à sa différence, qui le définissait pour choisir la ressemblance et l’unité. Il n’y a plus Dieu et la créature, mais la créature en Dieu ne faisant qu’un avec Lui dans la paix.
Les deux se rejoignent pour esquisser ce que nous serons quand nous aurons reçu un tel don : une créature totalement unie à son Dieu, ne faisant qu’un et vivant de sa vie.

Et nous ? Avons-nous suffisamment confiance à Dieu pour nous offrir à Lui. Il ne s’agit pas de donner ce que nous avons (à la manière du monde) mais de donner ce que nous sommes pour n’être plus qu’un avec lui (communion à la manière de Dieu)

Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. 28 Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous.

Voici un beau contraste entre la paix qu’il donne et laisse et la peur des disciples. Ils sont encore trop coincés dans une logique matérielle et temporelle. Ils sont encore trop « à la manière du monde ». La paix qu’ils attendaient c’est la délivrance d’Israël, un peuple libéré du joug romain et de tout autre fardeau. C’est bien ainsi que s’expriment les disciples d’Emmaüs :
21 Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. (Lc 24, 21)
Mais si le Christ s’en va, qui les délivrera ? Comment être dans la paix ?
Le Christ, alors, reprend l’enseignement qu’il a donné au tout début de ce chapitre :
01 Que votre cœur ne soit pas bouleversé (Jn 14, 1)
Et surtout :
03 Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. (Jn 14, 3)
Cet « aller-retour » évoque bien sûr le mystère pascal : le Christ, qui meurt, va vers le Père mais qui ressuscite, revenant vers les hommes. Ainsi décrit, il montre la liberté de Dieu et du Christ qui vont et viennent à leur guise à travers la vie et la mort, le ciel et la terre. Cela montre encore la fidélité du Christ, qui même après la mort, même après sa victoire et son triomphe, n’abandonne pas l’homme pour le Père pourtant infiniment plus parfait et puissant. Il revient même vers les pécheurs, même vers ceux qui l’ont trahi ou renié, même vers ceux qui l’ont condamné.
Il ne s’agit donc pas de délivrer Israël, ni du pouvoir politique, ni de la puissance guerrière, il s’agit de renouveler l’homme, l’humanité pécheresse, en guerre contre Dieu et elle-même.

Et nous ? Quelle paix cherchons-nous ? Qu’est-ce qui nous effraie ou nous bouleverse ? Sommes-nous dans la confiance pour laisser partir le Christ sans nous sentir abandonnés ? Sommes-nous capables d’attendre qu’Il revienne, sans douter de Lui, sans douter de nous ?

Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père,

Notre texte a commencé avec une réflexion sur l’Amour de Dieu :
Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole (Jn 14, 13)
Voici que maintenant Il s’adresse, toujours sur l’Amour, directement aux disciples pour leur reprocher un manque d’amour. Il donne un nouveau critère : la joie. Quelle est la cause de cette joie : savoir le Fils retourné vers le Père. Pourquoi cela devrait-il nous réjouir ? Nous en avons parlé plus haut : il y a une communion parfaite entre le Père et le Fils. Le retour du Fils au Père, les retrouvailles de Celui-ci avec son Père ne peuvent donc être pour Lui qu’une source de joie immense. De la même manière que le Père contemplant son Fils et se dévoilant pour lui dit au jour du baptême :
Et des cieux, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. » (Mt 3,17)
Aimer, c’est souhaiter le meilleur pour celui qu’on aime, sa joie devient donc notre joie. Si sa joie ne nous comble pas de joie, c’est que nous ne l’aimons pas ou pas assez.
N’est-ce pas tout le sens du deuil chrétien ? Découvrir la béatitude de ceux qui se sont présentés devant le Seigneur et qu’il a accueillis dans sa miséricorde. Ils entrent dans l’infini de la joie de Dieu. Et nous, qui contemplons cela en espérance, nous nous réjouissons, non de les avoir perdus, mais de les savoir dans la joie éternelle.
Ajoutons que comme la paix, la joie est un fruit de l’Esprit (Cf. supra, Ga 5, 22,23). Si nous ne portons pas en nous la joie, nous ne portons pas le fruit de l’Esprit. Si nous ne portons pas ce fruit, c’est que nous ne vivons pas dans l’Esprit. L’Esprit qui fait souvenir de toute chose, nous rappellerait que le Fils est fait pour aller vers le Père mais nous ne vivons pas en Lui. Et de même que la parole est un critère : il ne suffit pas de la garder, mais si nous ne la gardons pas, nous n’aimons pas, de la même manière la joie est un critère. Il ne suffit pas d’être dans la joie, mais si nous ne le sommes pas, c’est que nous n’aimons pas. Ainsi, nous voyons la cohérence des fruits de l’unique Esprit et nous mesurons notre Amour de Dieu et du Christ aux fruits de l’Esprit que nous portons.

Alors ? Reprenons-les, un à un, et voyons où nous en sommes de la vie dans l’Esprit pour mieux cerner notre relation au Christ et au Père et découvrir ce que nous devons perfectionner en nous :

                  Amour : il s’agit du grand commandement et donc de l’Amour de Dieu (confiance, obéissance, désir de Dieu coopération à son œuvre) et de l’amour des frères qui se montre surtout par le service et la compassion, la capacité à partager les joies et les peines.

                  Joie : C’est le débordement du cœur qui découvre combien il est aimé et peut aimer. La joie découle donc directement de l’amour

                  Paix : Il s’agit surtout de découvrir que nous sommes à la bonne place, celle où Dieu nous désire et nous attend. Nous découvrons alors que tout est grâce, c’est-à-dire don de Dieu qui nous aime et nous comble (joie) tous les fruits sont liés.

                  Patience : il s’agit d’accepter que nous ne sommes pas maître des événements ou des personnes. Nous pouvons les supporter (par amour), en attendant (dans la paix) que le Seigneur lui-même vienne nous combler (joie).

                  Bonté : elle nous permet de découvrir que toute personne est à l’image de Dieu et aimée de Dieu. Alors, nous agirons pour son bien (amour) et cela nous comblera (joie) même si nous ne voyons pas avec clarté la qualité de l’autre (patience) nous savons que c’est ce qu’il faut faire (paix).

                  Bienveillance : pendant de la bonté, elle nous permet de ne pas juger (amour) mais d’accueillir ce qui est bon (bonté) et de pardonner ce qui ne l’est pas (patience) pour découvrir un frère (paix) et cheminer vers Dieu : notre fin à tous (joie)

                  Fidélité : on dit aussi foi. Il s’agit d’accepter ou de continuer de faire confiance (amour) à ceux que Dieu met sur notre route (bienveillance) pour les aider (bonté) et pour grandir avec eux (paix) quoiqu’ils aient fait (patience) pour ensemble trouver le chemin du ciel (joie).

                  Humilité : Quand nous nous tournons vers Dieu (amour), nous nous reconnaissons petits. Quand nous contemplons les qualités de nos frères (bienveillance), nous pouvons alors continuer le chemin avec eux (fidélité), sans crainte (paix) mais aussi en se faisant serviteurs (bonté) et en refusant de les juger (patience). Nous serons alors au milieu de nos frères à notre juste place (paix), prêts à recevoir avec eux la grâce de Dieu (joie).

                  Maitrise de soi : Quand nous sommes comblés par Dieu (Joie) au milieu de nos frères (humilité) que nous servons (bonté), soutenons (patience) et accueillons (bienveillance) nous nous trouvons là où nous devons (paix) et nous voulons rendre au Seigneur tout ce bien qu’il nous fait (amour), quoi qu’il arrive (fidélité) et donc malgré nos pulsions ou nos mauvais penchants.

Tous ces fruits sont différents mais interdépendants. Quand nous en portons un, nous portons un peu tous et quand il en manque un, tous sont plus ou moins absents. Il nous faut progresser, non pas tant par des efforts personnels, que par un appel et une docilité à l’Esprit qui agira en nous. Nous ne devons jamais accepter de voir les fruits de l’Esprit disparaître de nos vies !

car le Père est plus grand que moi.

Là encore, il ne faut pas interpréter cela comme une distinction de nature, car :
30 Le Père et moi, nous sommes UN. (Jn 10, 30)
Les Pères de l’Eglise ont souvent dit qu’il s’agit du Fils dans sa condition humaine et non dans sa condition divine. La distinction est alors en fonction du point de vue de celui qui parle.
Mais nous l’avons déjà dit, cela traduit aussi le regard d’amour où l’aimé se sent toujours petit devant celui qu’Il aime. L’humilité du Fils lui fait dire, non pas une erreur ou un mensonge, mais la place qu’il donne à celui qu’il aime. On pourrait dire : « dans mon cœur, la place qu’occupe le Père que j’aime par-dessus tout est plus importante que la place que j’occupe moi-même ». Ce n’est pas que le Christ ne s’aime pas, il est parfait mais que son amour du Père est surabondant.

Il serait facile de montrer comment ainsi le Christ dans son rapport au Père porte tous les fruits de l’Esprit que nous venons de décrire, mais plus encore, cela nous invite à nous confronter aux premiers commandements, et à voir si nous nous aimons nous-mêmes, mais si nous pouvons en même temps faire aux autres une place plus grande encore dans nos cœurs.

29 Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez.

Le Christ utilise ici ses capacités prophétiques pour faire grandir la foi des disciples. C’est aussi pour cela qu’il leur a annoncé trois fois sa passion à venir. Il montre ainsi sa pleine connaissance, pleine acceptation, pleine liberté dans l’offrande de Lui-même au jour de sa Pâque.

Notons que Lui-même vient de nous rappeler que c’est l’Esprit Saint qui fera se souvenir de toute parole. Ainsi, la prophétie se montrera pleinement féconde parce que le Père a envoyé le Fils, le Fils a prédit ce qu’il accomplirait et l’Esprit a éclairé et fait comprendre ce que le fils a dit et fait. L’unité de l’action du Dieu Trinité nous permet de recevoir et faire grandir en nous la foi.

Et nous ? Avons-nous assez d’humilité et de simplicité pour recevoir la prophétie et nous en nourrir sans laisser le matérialisme ou un certain scientisme nous empêcher de recevoir la grâce ? Bien sûr, il faut discerner avec prudence mais il faut aussi accueillir avec bienveillance et confiance le don de Dieu.

En guise de conclusion :
le Seigneur nous parle aujourd’hui d’amour, de paix et de joie, trois des fruits de l’Esprit qu’Il nous promet. C’est donc une invitation à la vie dans l’Esprit Saint qui nous est lancé. Il s’agit de contempler et de recevoir la Bonne Nouvelle du Dieu Trinité, qui nous envoie le Fils pour nous sauver et nous faire vivre selon l’Esprit.

Nos intelligences sont mises à l’épreuves et même obligées de reconnaitre humblement leur incapacité. Nos cœurs sont invités à prendre le relais et à entrer dans la contemplation de ce qui nous dépasse. Mais surtout, c’est tout ce que nous sommes, corps âme et Esprit, notre humanité toute entière qui est invitée à recevoir et à rendre au Seigneur tous ses bienfaits, car c’est dans cette relation personnelle, entière, réciproque et pleine d’amour que nous parviendrons à devenir ce que nous sommes, des serviteurs, des disciples, des amis et des fils de Dieu.