Évangile du 26 février

Lectio Divina du 26 février 2023 : 1er dimanche de carême (A)

Evangile de Jésus Christ selon st Matthieu (Mt 4, 1-11)

01 En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable.
02 Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.
03 Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
04 Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
05 Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple
06 et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
07 Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
08 Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire.
09 Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. »
10 Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »
11 Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.

  • Réflexion ligne à ligne pour aider et guider la lectio divina

Pour ceux qui suivent ces commentaires ligne à ligne depuis un certain temps, il est évident que ce commentaire semblera parfois familier. Les deux textes de St Matthieu et de Saint Luc sont en effet très proches et des similitudes nombreuses apparaîtront.
Je fais pourtant le choix de repartir à zéro. Je prends ce texte comme il me vient et ne me préoccupe pas plus que cela de ce que j’ai déjà pu dire dans le commentaire du premier dimanche de carême de l’année C.

Evangile de Jésus Christ selon st Matthieu (Mt 4, 1-11)

01 En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable.

« Ce temps-là », c’est la suite immédiate du baptême de Jésus. La succession exacte dans l’Evangile de la fin du chapitre 3 et de ce début de chapitre 4 donne :
16 Dès que Jésus fut baptisé, il remonta de l’eau, et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.
17 Et des cieux, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. »
01 Alors, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable.( Mt 3, 16-17 ;4, 1)
On note bien sûr que l’Esprit qui vient sur Lui devient son guide, qui le conduit au désert. Le Christ est le Fils de Dieu, un avec l’Esprit Saint depuis toute éternité. Le Baptême a manifesté cela aux hommes ; c’est pourquoi l’Esprit repose sur Lui, on le voit, mais il n’entre pas en Lui car il y est déjà et depuis le commencement.
Jésus est alors conduit au désert par L’Esprit, du moins dans les évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) car dans le quatrième évangile, ce qui prend place alors est la prophétie de Saint Jean Baptiste :
son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu. » (Jn 1, 36)
Le rapprochement des deux peut faire penser à un sacrifice bien particulier de la première alliance : l’agneau est souvent l’objet du sacrifice mais c’est parfois un bouc et parfois il est immolé mais aussi parfois perdu au désert, c’est ce qu’on appelle le bouc-émissaire, en voici le rite :
20 Une fois achevé le rite d’expiation du sanctuaire, de la tente de la Rencontre et de l’autel, Aaron fera approcher le bouc vivant.
21 Il posera ses deux mains sur la tête du bouc vivant et il prononcera sur celui-ci tous les péchés des fils d’Israël, toutes leurs transgressions et toutes leurs fautes ; il en chargera la tête du bouc, et il le remettra à un homme préposé qui l’emmènera au désert.
22 Ainsi le bouc emportera sur lui tous leurs péchés dans un lieu solitaire. (Lv 16, 20-22)
C’est sur ordre de Dieu que le bouc est emporté au désert, il y porte tous les péchés du peuple…
C’est sur ordre de l’Esprit que Jésus est conduit au désert ; il va y affronter toutes les tentations et résister à tous les péchés…
Jésus est notre nouveau sacrifice d’expiation !
Enfin, c’est par le diable que le Seigneur est tenté, comme Adam et Eve le furent. Ils le furent dans un jardin dont ils furent chassés pour avoir désobéi. Jésus l’est dans le désert, contraire d’un jardin, mais il reste fidèle à Dieu et c’est le diable qui devra partir. En Jésus, l’histoire de l’humanité est réassumée, récapitulée mais aussi redressée et convertie pour rétablir la communion avec Dieu

Et nous ? Sommes-nous guidés par l’Esprit ? Osons-nous reconnaître devant Dieu notre péché pour l’expier et pour voir la miséricorde de Dieu nous pardonner ? Saurons-nous accompagner le Christ dans son combat contre le démon pour être vainqueurs avec lui ?

02 Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.

Au jardin de la Genèse, l’homme et la femme pouvaient manger de tous les fruits des arbres, ils étaient comblés. Pourtant ils se sont laissé tenter par le seul fruit dont ils n’avaient pas le droit de manger. Au désert, Jésus est dans la situation inverse : il n’a rien, il jeûne et il a faim… voici un nouvel exemple de l’inversion, de la conversion de l’humanité opérée en Jésus.
Le chiffre quarante est hautement symbolique. On ne reprendra pas les innombrables mentions de ce nombre dans le premier testament mais souvenons-nous au moins que le déluge dura quarante jours et quarante nuits pour purifier le monde du péché de l’homme,
12 Et la pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits. (Gn 7, 12)
Que Moïse passa quarante jours au sommet de l’Horeb pour recevoir la loi de Dieu :
Moïse entra dans la nuée et gravit la montagne. Moïse resta sur la montagne quarante jours et quarante nuits. (18)
Et encore quarante pour tailler des tables semblables aux premières :
Moïse demeura sur le Sinaï avec le Seigneur quarante jours et quarante nuits ; il ne mangea pas de pain et ne but pas d’eau. Sur les tables de pierre, il écrivit les paroles de l’Alliance, les Dix Paroles. (Ex34.28)
Le peuple passa quarante ans au désert pour se préparer à entrer dans la terre promise qu’il avait explorée pendant quarante jours mais sans vouloir y entrer :
Vous avez exploré le pays pendant quarante jours, chaque jour vaudra une année : vous porterez donc le poids de vos fautes pendant quarante ans, et vous saurez ce qu’il en coûte d’encourir ma réprobation.” (Nb14.34)
Ainsi ce nombre désigne toujours un rapport d’alliance entre Dieu et le peuple ; parfois, c’est une alliance bafouée, d’autres fois établie ou restaurée, mais toujours il s’agit de l’alliance entre Dieu et son peuple.

Et nous ? Pouvons-nous nous identifier au Christ qui restaure la communion avec Dieu, ou bien sommes-nous encore de la race d’Adam qui a trahi ? Faisons-nous partie de cette alliance si souvent bafouée par les hommes ou nous attachons-nous à la nouvelle alliance, définitivement acquise dans le Christ ? Saurons-nous faire de ces quarante jours de carême un temps d’alliance avec Dieu ? Comment ? Et dans quel but ? (quelle relation voulons-nous avoir avec Lui ?)

03 Le tentateur s’approcha

Ici, il est appelé le tentateur ; juste avant, c’était le diable, ce qui signifie « celui qui divise », et plus loin Jésus l’appelle Satan, qui signifie l’adversaire. Ailleurs, il est aussi appelé le démon ou le Mauvais. Ne nous y laissons pas tromper : tous ces noms désignent bien le même ennemi de Dieu et de l’homme, ange révolté qui voulait être Dieu et qui rêve de nous entrainer dans sa chute. Le voici qui s’approche du Christ comme il le fit de Dieu au début du livre de Job :
06 Le jour où les fils de Dieu se rendaient à l’audience du Seigneur, le Satan, l’Adversaire, lui aussi, vint parmi eux. (Jb 1, 6)
La Bible nous montre que Satan n’a pas peur de s’approcher de Dieu mais il nous montre plus encore que Dieu n’a pas peur de parler avec lui. Si nous ne devons pas parler avec le démon qui est plus fort que nous et finira toujours par nous tromper comme il le fit d’abord avec Eve, Dieu, lui, est toujours plus fort que l’adversaire et peut parler avec lui car il va le vaincre.

Et nous ? Sommes-nous bien conscients que nous ne luttons pas seulement contre nos propres penchants ou nos faiblesses, mais que nous avons un véritable adversaire qui s’approche de nous subrepticement et cherche à nous tromper pour nous éloigner de ce Dieu contre lequel il est en révolte ?
Avons-nous suffisamment confiance en Dieu pour savoir qu’Il est toujours vainqueur ? Et avons-nous assez d’humilité pour savoir que nous serons toujours vaincus, si nous ne nous rangeons pas dans l’armée du Seigneur ?

et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu,

Voici une stratégie du Malin : il part toujours de quelque chose de vrai pour mieux surprendre, égarer et perdre ses adversaires. Ici, la vérité est que Jésus est le fils de Dieu. Il prétend dire ce que doit être ou faire le fils de Dieu… voilà la tromperie !
Notez que cette manière d’attaquer sera la même utilisée au jour du grand combat, au jour de la Passion du Seigneur :
42 « Il en a sauvé d’autres, et il ne peut pas se sauver lui-même ! Il est roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui !
43 Il a mis sa confiance en Dieu. Que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime ! Car il a dit : “Je suis Fils de Dieu.” » (Mt 27, 42-43)
Les chefs des prêtres qui se moquent ainsi partent donc de ces vérités : il en a sauvés d’autres, il est le roi des juifs, Dieu l’aime… Mais ils prétendent dicter à Dieu et à lui, la conduite qui viendrait prouver ces vérités, comme si Dieu avait quelque chose à prouver… ils mettent Dieu à l’épreuve, au défi, mais Dieu ne se laisse pas ainsi manipuler ou influencer ; leurs affirmations sont faussées et deviennent de la tromperie.

Et nous ? Savons-nous par la foi reconnaître les vérités sans nous laisser berner ? Savons-nous dans l’Espérance laisser le Seigneur agir à sa guise et continuer de lui faire confiance ? Savons-nous par la Charité préférer Dieu et son action, sa volonté et ses choix à tout, même à nous-mêmes ? Savons-nous continuer de l’aimer quand nous ne comprenons pas ce qu’il fait, quand Il nous invite à prendre notre croix, quand il nous confronte à la Croix ?

ordonne que ces pierres deviennent des pains. »

On peut faire un parallèle avec les paroles de Jean Baptiste :
09 N’allez pas dire en vous-mêmes : “Nous avons Abraham pour père” ; car, je vous le dis : des pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham.
 
Le prophète manifeste à la fois la toute-puissance de Dieu qui peut faire, même de pierres, des enfants d’Abraham, mais aussi l’insignifiance de l’homme au regard de Dieu, même des fils d’Abraham. Il faudrait d’ailleurs plutôt dire que ces hommes n’ont d’importance que celle que Dieu leur donne.
Si Dieu peut faire de pierres des hommes insignifiants sans doute mais qui ont du prix à ses yeux, combien plus peut-il en tirer du pain ! Ainsi le tentateur ne demande rien d’impossible, il semble même se placer dans la suite de la prédication du Précurseur, mais sa demande est faussée, car si Saint Jean dit « Dieu peut », lui dit «ordonne». Dieu peut si cela est bon et utile, mais si Jésus ordonnait, ce serait juste pour son confort personnel, parce qu’il a faim… rien à voir.
Prenons une autre comparaison : dans l’Exode, Dieu transforme le rocher en source :
06 Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau, et le peuple boira ! » Et Moïse fit ainsi sous les yeux des anciens d’Israël.
07 Il donna à ce lieu le nom de Massa (c’est-à-dire : Épreuve) et Mériba (c’est-à-dire : Querelle), parce que les fils d’Israël avaient cherché querelle au Seigneur, et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve, en disant : « Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? » (Ex 17, 6-7)
Nous sommes au désert comme Jésus ; le peuple a soif quand lui, il a faim, c’est comparable. Il est question d’un rocher ou de pierre, c’est très proche. De l’un jaillit de l’eau, pourquoi pas du pain des autres ?
Il faut noter que ce passage montre le peuple en train de mettre Dieu à l’épreuve (« Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? »). Là encore on voit comment le démon avance masqué, sous prétexte de prendre soin ce celui qui a faim, il est en fait en train de mettre le Seigneur à l’épreuve. La question était : « si tu es le fils de Dieu », elle renvoie bien à celle du peuple de Moïse : « Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? ». Il s’agit toujours de défier le Seigneur comme s’il avait quelque chose à prouver. Cela semble la foi en sa toute-puissance, ce n’est qu’un manque de foi en sa bienveillance et son amour.

Et nous ? Sommes-nous de ceux qui défient Dieu, qui le mettent à l’épreuve ? Avons-nous foi et confiance en Lui, ou bien ne sommes-nous là que pour réclamer et exiger comme des enfants gâtés ? Pouvons-nous nous rappeler d’un événement où notre prière n’a pas (du moins en apparence) été exaucée, ou pas comme nous l’attendions ? Comment avons- nous réagit ? Qu’est-ce que cela a entrainé dans notre vie de foi ?

04 Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

C’est une citation du livre du deutéronome :
02 Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ?
03 Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. (Dt 8, 2-3)
Jésus ne répond pas sur le thème de la toute-puissance, car cela, le diable ne l’a pas remis en question. Il ne répond pas sur le thème de sa filiation divine, car cela n’a été évoqué que pour le piéger et l’inviter à montrer plutôt sa puissance que sa confiance. Il répond sur le fond de ce qui est proposé : il refuse la nature ou la pierre qui est pierre, le pain qui est pain et l’homme qui jeûne a faim, et il définit ses propres règles : pain ou pierre, peu importe, pourvu que j’ai ce que je veux quand je veux et comme je veux ! Cette toute puissance là est égoïste et autocentrée, elle est plutôt une tyrannie sur le réel, sans aucun respect pour la Création. Elle rappelle bien l’objet de la tentation d’Eve par le serpent :
vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux (Gn 3, 5)
Chacun est son propre Dieu, non pour faire le bien mais pour faire ce qu’il veut ce qui lui fait plaisir ! Il s’agit d’une forme d’idolâtrie de soi et de refus de Dieu.

Et nous ? Où en sommes-nous de notre disponibilité et obéissance à Dieu ? Qu’y a-t-il dans notre vie que nous n’acceptons pas, que nous reprochons à Dieu ? Est-ce que nous croyons que nous savons mieux que Lui ce qui serait bon, ce qu’il faudrait faire ?
Et prenons-nous seulement le temps d’écouter, de chercher et discerner ce que Dieu attend de nous ? Connaissons-nous notre vocation, notre mission, non seulement pour cette vie mais aussi concrètement pour aujourd’hui ?

05 Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple,

Notez la différence d’avec l’Esprit Saint : par l’Esprit, il est conduit, il suit donc de manière libre et responsable. Par le diable, il est emmené, il est comme un objet transporté, il n’y a plus, ni d’action, ni de liberté…
On note aussi que le diable en fait ce qu’il veut, il l’emmène et le met au lieu saint par excellence : Jérusalem, le temple… Il se révèle puissant et prince de ce monde comme il le fera comprendre plus loin… Mais il se réfère à ce qui est saint pour tromper et fausser la discussion, la réflexion.

Et nous ? Sommes-nous sur nos gardes, même dans les moments les plus sanctifiés de notre vie : le tentateur s’acharne toujours sur ceux qui s’approchent du Seigneur. Ne vous est-il jamais arrivé d’avoir les plus fortes pulsions, juste après un temps de prière et de paix ? N’avez-vous jamais été pris dans des querelles ou des conflits quand vous alliez ou rentriez de la messe ? Il est pernicieux et rusé, il est puissant et malin ; seul, le Seigneur peut nous protéger de Lui. A nous de rester vigilants et de demeurer en toute chose auprès de Dieu.

06 et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ;

Voici que pour la deuxième fois le diable défie Jésus de prouver qu’il est le fils de Dieu. Mais cette fois-ci, il n’essaie pas de le prendre par la nécessité comme la faim ; il essaie de le tenter par la vanité, la gloire et l’orgueil.
La tentation ne vise plus l’homme extérieur avec ses besoin vitaux et basiques : nourriture, boisson, vêtement ou logement… elle vise l’homme intérieur avec ses pulsions les plus élémentaires : besoin de reconnaissance, vanité, gloriole, orgueil. C’est pour cela que la demande n’est plus quelque chose qui semble sensée comme l’histoire des pains. Il s’agit d’un défi, un vrai, insensé et périlleux, inutile et même dangereux ; « Jette-toi en bas ». Nous voyons ainsi que ce n’est pas tant à la raison qu’à l’instinct que le diable s’adresse.

Et nous ? Il n’est pas intéressant de nous poser la question : « suis-je orgueilleux », car nous le sommes tous. Il vaut mieux nous demander quel type d’orgueil nous avons et du coup ce qu’il nous pousse à faire : l’un (le superbe) méprise les autres ; l’autre (le vaniteux) veut épater les autres ; un autre refuse la critique ; un autre dénie ses défauts au point de mentir et combien d’autres orgueilleux encore ?
Pouvons-nous aussi identifier ce qui va provoquer en nous ces « réflexes d’orgueil », réactions le plus souvent instinctives mais pour autant mauvaises ou destructrices pour nous ou notre entourage ?

car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »

Et voici maintenant la grande ruse du démon : il prend à témoin les Ecritures. Nous avons déjà dit qu’il part toujours d’une vérité, mais qu’il la fausse, l’utilise à des fins mauvaises. Ici il cite le psaume 90 :
11 il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins.
12 Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres (Ps 90, 11-12)
Mais il suffit de regarder les versets d’avant :
09 Oui, le Seigneur est ton refuge ; tu as fait du Très-Haut ta forteresse.
10 Le malheur ne pourra te toucher, ni le danger, approcher de ta demeure (Ps 90, 9-10)
Ou celui d’après :
13 tu marcheras sur la vipère et le scorpion, tu écraseras le lion et le Dragon. (Ps 90, 13)
Pour comprendre que ce psaume parle de manière métaphorique, il ne faut pas prendre ces phrases au sens matériel mais en comparaison avec la vie intérieure : les chemins sont les occasions de la vie et les pierres sont les épreuves, les mains des anges (qui comme esprit n’ont pas de corps donc pas de mains) sont les œuvres de ces anges. On peut donc comprendre : « Dieu donnera mission à ses anges d’être avec toi en toute circonstance pour que, par leurs œuvres, ils t’aident à surmonter toutes les épreuves de la vie ». Mais se jeter volontairement dans le vide n’est pas une épreuve de la vie, c’est une bêtise, une inconscience, une erreur !

Et nous ? Sommes-nous capables de réfléchir et de comprendre ce que Dieu nous dit, sans naïveté, ni facilité ? Cherchons-nous Dieu dans sa parole ou bien cherchons-nous nous-mêmes, c’est-à-dire de bonnes raisons de faire ce que nous voulons, plutôt que la volonté de Dieu ?

07 Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »

Voici que le Seigneur nous donne une grande leçon pour lire de manière sûre et vraie la Parole : il ne faut jamais prendre un passage isolé et lui donner une interprétation qui entre en contradiction avec d’autres paroles divines. Ici, Jésus cite une parole claire qui est incompatible avec l’interprétation que le diable fait du psaume 9O. Il montre donc, non pas que le psaume se trompe ou que la Parole est contradictoire, mais que l’interprétation trop matérielle et l’utilisation malveillante de ce psaume sont faussées.
Ainsi nous avons au moins deux règles d’interprétation : c’est le reste de la Bible qui doit m’éclairer pour que je comprenne le ou les sens d’un passage précis (ce que nous essayons de faire tout au long des ces lectio) et il faut partir d’affirmations claires, évidentes et sans ambiguïté aucune pour expliquer les passages plus obscures, complexes ou imagés.
Ici clairement, le Christ montre que les anges seront là pour nous aider dans les épreuves de la vie mais que nous ne pouvons exiger qu’ils satisfassent à nos caprices comme preuve de l’amour de Dieu ou de leur présence.

Et nous ? Prenons-nous le temps de lire, méditer et travailler la Parole de Dieu pour en dégager un sens clair et lumineux, qui nous guidera sur les chemins de la vie ? Quels moyens prenons-nous pour avancer sur ce chemin de connaissance et de compréhension ?

08 Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire.

Jésus se laisse faire pour ce qui est d’être mené ici ou là, mais il ne se laisse pas tenter ou manipuler. Ce qui compte, ce n’est pas la posture. C’est la fidélité à Dieu et la docilité à son message. Cela nous rappelle les premiers commandements :
03 Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi.
04 Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre.
05 Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, pour leur rendre un culte. (Ex 20, 3-5)
Et c’est bien de cela dont il va être question maintenant.
Notons que s’il y a un phénomène extraordinaire à pouvoir voir tous les royaumes de la terre d’un seul coup, il y a quelque chose d’au moins aussi étonnant de pouvoir en voir la gloire, et seulement la gloire. Nous comprenons que ces allées et venues du Diable avec le Christ sont donc une expérience spirituelle et non matérielle. Il ne s’agit pas de déterminer sur quelle montagne ils pouvaient être, ni même de penser qu’ils étaient matériellement au pinacle du temple. Nous comprenons donc que le diable puisse ne montrer que ce qu’il veut au Seigneur. Comme la désinformation d’aujourd’hui avec les montages et trucages nombreux qui ont but de faire illusion et de manipuler ; ainsi agit le diable dans l’Esprit de Jésus qui ne se laissera pas prendre.
Enfin nous remarquons aussi que la gloire, dont il est question ici, est celle des royaumes. C’est une gloire qui passe par la puissance et la domination des autres ou encore par la richesse matérielle et les apparences. Cette gloire qu’on appelle la vaine gloire ou la gloriole car elle n’est qu’éphémère et sans but ultime, par opposition à la gloire de Dieu qui est manifestation de son infinie perfection dans un monde fini et imparfait, qui oriente les hommes et les arrache à leur condition mortelle pour une union définitive et totale, but ultime de la communion avec le Seigneur.

Et nous ? Quelle gloire recherchons-nous ? Quelle est notre espérance ultime ? Et quels moyens prenons-nous pour nous y diriger ? Sommes-nous plutôt dans l’extériorité, le paraître et la gloriole, pensant réaliser nous-mêmes notre espérance, ou dans l’intériorité qui nous pousse à la rencontre amoureuse d’un Dieu qui nous sauvera à notre demande ?

09 Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. »

Le diable a tenté Jésus sur ces besoins vitaux matériels et extérieurs (la faim), sur ces pulsions les plus immédiates et les sentiments qui limitent la vie intérieure à une simple intégration de l’extériorité (la gloriole, la vanité). Le voilà maintenant qui attaque la raison, la stratégie du Seigneur. Il s’agit de récupérer le pouvoir de celui qui l’a. Il est donc question de pouvoir qui permettra ensuite au Seigneur d’accomplir sa mission : pour pouvoir sauver le monde entier, ne faut-il pas d’abord posséder le monde entier ? Pour pouvoir sauver ceux qui ne veulent pas être sauvés, ne faut-il pas avoir un pouvoir sur eux ?
L’attaque est pernicieuse : si son propre confort ne le tente pas, si sa propre gloire ne l’intéresse pas, le Christ n’est-il pas venu pour les autres ? Ce sont eux qui lui sont offerts maintenant !
Mais il suffit de formuler clairement la question pour voir combien la perspective est faussée. Le Christ veut que les hommes soient les siens par amour et non par obligation ou peur ; il veut les sauver de la mort et non les obliger à une certaine vie. Le salut de Dieu ne se fait pas sans l’homme, mais avec l’homme et même en l’homme.
Quant à sa mission, elle est d’abord et avant tout de tourner et d’unir l’humanité à Dieu, ce Dieu qui a dit :
03 Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi. (Ex 20, 3)
Ce n’est donc sûrement pas en étant infidèle à Dieu et en proposant la vénération d’un autre Dieu (ou du moins qui se voudrait tel) comme le démon que le christ pourra remplir sa mission. Autrement dit, le diable résume la mission du Christ à son universalité (tous les royaumes) en oubliant sa bonté (tu aimeras le Seigneur ton Dieu…). Se servir du pouvoir du démon pour toucher tout le monde serait un moyen de facilité, mais cette facilité viendrait comme un obstacle infranchissable entre le Christ qui aurait « changé de Dieu » et son Père qui l’a envoyé pour rétablir une relation d’amour total entre Dieu et l’humanité.

Et nous ? Avons-nous tendance à chercher les chemins de la facilité ? Nous arrive-t-il de perdre de vue le but ultime qui est l’union intime, l’alliance avec Dieu ?

10 Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan !

Jusque-là le Seigneur a réagi avec sang-froid et mesure, intelligemment et rationnellement en citant la bonne phrase de l’Ecriture au bon moment. Mais ici, il y a plus. Il y aura ensuite la citation et la raison, mais il y a d’abord le sentiment de dégoût, la colère face à la duplicité et la fausseté, l’empressement vis-à-vis de Dieu. Ce cri n’est, ni réfléchi, ni raisonnable, il est spontané et amoureux. Comme Jésus est saint et que son amour est vrai, il n’y a évidemment rien de déraisonnable dans le cri. L’accord est parfait entre sa raison, ses sentiments et même ses élans intérieurs. Il n’en reste pas moins que ce cri est surtout un cri du cœur.

Et nous ? Sommes-nous assez unifiés en Dieu pour que notre intelligence, nos sentiments, nos émotions et même nos pulsions et nos élans instinctifs aillent dans le sens de notre amour de Dieu ? Qu’avons-nous à purifier, à remettre à Dieu pour qu’Il le restaure et le sauve ?

car il est écrit : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »

Voici maintenant la raison, l’Ecriture et l’argumentation, avec le commandement que nous avons cité plus haut. Il nous rappelle qu’il y a une chose qui précède toute nos missions et leur donne sens : c’est notre vocation. La mission du Seigneur est bien sûr de sauver l’humanité, mais pour cela, il a d’abord une vocation que nous entendons au jour de son baptême :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » (Mt 3, 17)
Ou de la Transfiguration :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » (Mt 17, 5)
Sa mission, ce qu’il doit faire, c’est le Salut, mais sa vocation, ce qu’il est, c’est « être fils bien-aimé ». S’il échoue dans sa mission (nous savons que Dieu n’échoue jamais), il reste le fils bien-aimé, mais s’il renie sa vocation (qu’il n’aime plus), il perd son être et même sa capacité à remplir sa mission.

Et nous ? Savons-nous quelle est notre vocation et quelles sont nos missions ? Notre vocation à tous est la sainteté ; nos missions, qui nous permettront de vivre notre vocation, sont bien différentes.
Pour tous les baptisés, y compris les célibataires, les jeunes et les enfants, notre mission est d’être présence de Dieu, signe de la miséricorde de Dieu, invitation à aimer Dieu.
Les religieux le font en montrant que Dieu seul suffit à leur bonheur…
Les prêtres le font comme instrument (d’où le mot ministère = service) de l’œuvre de Dieu dans la vie de leur frère : prédication de la Parole (charisme du prophète), sacrement (charisme du prêtre), et accompagnement de la vie quotidienne (charisme du roi).
Les diacres le font en manifestant la bonté d’un Dieu qui se fait serviteur
Les époux le font en manifestant l’amour de Dieu qui les unit à la face du monde.
Une même vocation, et tant de missions…

11 Alors le diable le quitte.

Jésus a repoussé les tentations extérieures, intérieurs et rationnelles ; il n’a pas confondu vocation et mission, ni vie terrestre et vie éternelle ; il a triomphé en toute chose comme le fait comprendre le texte parallèle de l’évangile de st Luc :
13 Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus (Lc 4, 13)
Cela signifie deux choses au moins : la première est que le Christ est vainqueur du combat spirituel, le diable n’a pas de prise sur lui.
La deuxième est que la victoire se construit patiemment à travers la vigilance, la vie intérieure unie à Dieu, le recours aux écritures, l’unification de notre vie fondée sur une conscience la plus claire possible de notre vocation et de notre mission et enfin la puissance de cet amour qui fait crier de dégoût le Seigneur face à l’adversaire.

Et Nous ? Pour croire que, dans le Christ Jésus, nous sommes déjà vainqueurs ? Et remplis de cette foi, comment construisons-nous patiemment notre victoire personnelle en progressant dans l’amour de Dieu, dans la connaissance de sa volonté, dans l’écoute de son appel, dans l’unification de note vie sur ces dons et appels de Dieu en nous ?

Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.

Cette dernière phrase peut sembler un peu étrange, même au regard de l’ensemble de l’Evangile. Nous ajoutons donc quelques réflexions disparates pour en apercevoir l’intérêt.
Les anges qui le servent manifestent la seigneurie de Jésus. Cela paraît naturel puisqu’il vient de vaincre le prince de ce monde et de chasser le diable de sa vie (du moins pour l’instant)
Nous avons déjà évoqué comme le Christ récapitule et inverse le cours de la vie de l’humanité par rapport au péché d’Adam et Eve :
Ils voulaient être comme Dieu ; Jésus ne veut se prosterner que devant Dieu. Ils ont défié Dieu en voulant avoir, eux aussi, la connaissance du bien et du mal, Jésus refuse de mettre le Seigneur à l’épreuve. Ils ont voulu s’accaparer le fruit interdit alors qu’ils n’en avaient, ni le droit, ni le besoin. Jésus, qui en avait le pouvoir et le besoin (il avait faim), n’a pas voulu s’accaparer des pierres pour en faire des pains.
Ils se sont approchés du malin ou l’ont laissé approcher. Jésus a crié « arrière ». Ils ont eu confiance dans la parole du serpent plus qu’en la loi de Dieu. Jésus a cité la loi de Dieu pour déjouer les ruses du diable… Et bien, Adam est Eve ont été chassés du jardin et un ange les empêche d’y revenir ; tandis qu’ici, c’est le diable qui est chassé de la présence du Christ et les anges le rejoignent et le servent.
Dans un jardin, plus tard un ange viendra réconforter Jésus au moment de l’ultime combat :
S’étant mis à genoux, il priait en disant
42 « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. »
43 Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait. (Lc 22, 41-43)
Ces anges qui viennent après ce grand combat préfigurent donc la passion, la victoire du Seigneur qui renonce à sa propre volonté, à sa réputation et à sa vie (contre les trois tentations) dans sa passion et sa mort pour que triomphent la vie et l’amour de Dieu.
Les anges s’approchèrent, ce qui signifie qu’ils étaient présents mais en retrait : Dieu seul peut vaincre le démon mais les anges comme les hommes sont invités à contempler sa victoire et à s’y associer. Et cela, ils ne peuvent le faire qu’en servant celui qui est leur victoire.

Et nous ? Avons-nous la déférence et l’humilité nécessaires pour servir celui qui est, tout à la fois, notre Seigneur, notre sauveur et notre victoire ? Comment le servons-nous pour nous unir vraiment à cette victoire, pour espérer avoir part avec lui dans le royaume de Dieu ?

En guise de conclusion :
ce récit des trois tentations du Christ par le diable au désert nous montre donc bien ce qu’est le combat spirituel, un harcèlement de notre ennemi qui veut tester toute nos défenses, qui nous attaque sur tous les fronts, qui connaît nos faiblesses et nos travers pour essayer d’en profiter et de nous entrainer dans sa chute. Mais le combat spirituel est aussi le soutien indéfectible de Dieu, par sa présence, par sa parole, par la foi et la lumière qu’Il nous donne pour déjouer les pièges de l’ennemi. Nous découvrons ainsi que seuls, nous ne pourrons pas vaincre, mais que nous ne sommes pas seuls. Nous nous rappelons que la Parole de Dieu, qui nourrit notre foi et éclaire notre charité, est notre meilleure arme pour gagner ou plutôt pour participer à la victoire du Christ.
Car il y a une autre leçon à tirer de ce récit : nous y voyons le Christ qui récapitule l’histoire de l’humanité et de son péché. Il s’y montre comme l’opposé même d’Adam. Confronté aux mêmes tentations, il a les réactions inverses : fidélité, humilité, amour et confiance en Dieu, espérance indéfectible. Le Christ récapitule mais convertit, inverse la réponse humaine à Dieu, malgré le diable et ses pièges. Et ses tentations préfigurent aussi le combat ultime où le Christ ira par sa Passion jusqu’à la mort et par elle à la Résurrection. Ainsi, la victoire contre les tentations préfigure la victoire sur la mort et le péché. Ainsi nous le savons, le Christ est victorieux et même, il est notre victoire. A nous de savoir le suivre jusqu’au désert, jusqu’à la Croix pour le suivre aussi dans sa résurrection et dans la vie éternelle.