Avant tout je vous propose un temps de prière autour du texte d’évangile, selon la méthode dites de la « lectio divina » (lecture divine, lecture de la Parole divine) en groupe (la famille ou personnellement) la méthode est juste ci-dessous.
Ensuite je reprends le texte et vous invite à une méditation partie par partie. Cela devrait vous aider à mieux comprendre le texte et à mieux l’assimiler mais rien ne vaut le temps de prière initial.
Bonne réflexion et prions les uns pour les autres !
Père Christohpe
LECTIO DIVINA : LA METODE
1- lire silencieusement le texte évangélique pour une meilleure compréhension
2- lire à haute voix (une personne) sans lenteur ni précipitation
Silence pour intérioriser (3 minutes)
Expression libre : chacun est invité à dire le groupe de mots du texte qui lui parle, le touche ; les autres écoutent et accueillent sans questions ni commentaires
3- Relire le texte à haute voix (une autre personne)
Silence pour intérioriser (5 minutes) : qu’est-ce qui me parle aujourd’hui ; comment cela touche-t-il ma vie ?
Expression brève pour ceux qui le souhaitent
4- relire le texte à haute voix (une troisième personne)
Silence pour intérioriser (5minutes) : Quelle prière monte en moi ?
Expression libre et brève d’une prière
Terminer par un Notre Père en commun
Evangile de Jésus Christ selon st Luc (Lc 9,51-62)
51 Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem.
52 Il envoya, en avant de lui, des messagers ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue.
53 Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem.
54 Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? »
55 Mais Jésus, se retournant, les réprimanda.
56 Puis ils partirent pour un autre village.
57 En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. »
58 Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »
59 Il dit à un autre : « Suis-moi. » L’homme répondit : « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. »
60 Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu. »
61 Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. »
62 Jésus lui répondit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu. »
Lecture ligne à ligne
Evangile de Jésus Christ selon st Luc (Lc 9,51-62)
51 Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel,
Ce verset est un verset pivot dans l’Evangile de Saint Luc. Il montre à la fois que les premiers temps, ceux de l’annonce du royaume sont accomplis et que les derniers temps, ceux de la passion s’approchent. L’expression peut évoquer la mort de Jésus. Mais elle est aussi celle qui évoque la fin de la vie du prophète Elie :
03 Les frères-prophètes de Béthel sortirent à la rencontre d’Élisée et lui dirent : « Sais-tu qu’aujourd’hui le Seigneur va enlever ton maître au-dessus de ta tête ? » Élisée répondit : « Oui, je le sais. Taisez-vous ! » (2R2, 3)
Et encore
05 Les frères-prophètes de Jéricho s’approchèrent d’Élisée et lui dirent : « Sais-tu bien qu’aujourd’hui le Seigneur va enlever ton maître au-dessus de ta tête ? » Élisée répondit : « Oui, je le sais. Taisez-vous ! » (2R2, 5)
Et enfin :
Alors, Élie monta au ciel dans un ouragan. (2R 2, 11)
L’évangéliste peut donc parler aussi de l’ascension, ou plutôt laisser entendre que le plus important n’est pas la mort mais l’ascension.
Alors ? Pouvons-nous nous aussi replacer ce texte et même tout l’évangile dans le contexte du mystère pascal où il n’y a pas que la Passion et la Mort du Christ, mais aussi sa Résurrection, son Ascension et même la Pentecôte ? Ce faisant, nous nourrissons non seulement notre foi mais aussi notre Espérance. Nous sommes-toujours dans une logique de Salut une recherche de la vie au ciel
Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem.
Jésus lui-même a attesté un peu plus tard :
33 Mais il me faut continuer ma route aujourd’hui, demain et le jour suivant, car il ne convient pas qu’un prophète périsse en dehors de Jérusalem. (Lc 13, 33)
Ainsi l’expression témoigne à la fois de la détermination mais aussi de la conscience de l’issue qui se dessine pour Jésus dans ce voyage vers Jérusalem.
Cela évoque naturellement le chant du serviteur d’Isaïe :
07 Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. (Is 50, 7)
Notez que le contexte est au secours venant de Dieu, à la confiance dans la victoire finale.
Et nous ? Sommes-nous prêts à affronter toute sorte d’épreuves avec la confiance en Dieu ? Pouvons-nous regarder ou affronter les difficultés avec un visage déterminé, sans craindre, parce que Dieu est avec nous ?
52 Il envoya, en avant de lui, des messagers ;
Pour le mot « messager », on trouve en grec le mot « ange ». Jésus dans une attitude messianique comme on le voit par exemple avec le prophète Malachie :
01 Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi ; et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient, – dit le Seigneur de l’univers. (Ml 3, 1)
C’est Dieu qui envoie son messager (Ml 3), ce que fait ici Jésus assurant ainsi sa divinité. D’ailleurs cela annonce la venue du Seigneur dans son temple. Or Jésus à Jérusalem enseignera dans le Temple et le peuple reconnaitra son message de grâce :
46 Les gardes répondirent : « Jamais un homme n’a parlé de la sorte ! » (Jn 7, 46)
Et Jésus établira bien une nouvelle alliance en son sang :
20 Et pour la coupe, après le repas, il fit de même, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang répandu pour vous. (Lc 22, 20)
Par ce geste tout simple, Jésus est donc en train d’assumer et d’accomplir sa mission de messie et de préparer cette alliance nouvelle et éternelle.
Et nous ? Sommes-nous capables de reconnaître en Lui le messie ? Et surtout, aujourd’hui encore sommes-nous ses messagers, ceux qui préparent sa venue dans les cœurs de nos frères pour qu’Il y conclue son alliance ?
ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue.
Les messagers sont donc bien là pour préparer la venue du Seigneur, comme le prophète l’avait annoncé. Mais la surprise vient, non pas de là, mais des personnes à qui il est annoncé. Ce sont des Samaritains qui sont ainsi prévenus et sollicités pour accueillir Jésus. Or, ils sont considérés par les juifs comme des étrangers et des traitres, des ennemis. Voici donc que le messie envoie son ange chez des étrangers ! le message, l’alliance est donc universelle et non réservée aux juifs.
Et nous ? Somes-nous prêts à annoncer la Bonne Nouvelle à tous ? N’avons-nous pas des préventions comme si certains étaient des « cas désespérés » ? N’avons-nous pas tendance à condamner certains de nos contemporains à ne pas recevoir ni même pouvoir entendre la Bonne Nouvelle : « cela ne l’intéresse pas », « ce n’est pas son truc »…
53 Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem.
Voyez le contraste avec l’histoire de la Samaritaine : Jésus sollicite à boire et elle s’étonne mais non pour refuser de servir. Elle parle volontiers avec ce maitre juif et va ensuite chercher les villageois qui viendront à sa rencontre, le retiendront 3 jours et croiront en Lui (Cf. Jn 4). Mais ici le contexte est différent. La réputation de Jésus n’est plus à faire, les tensions sont grandes et les Samaritains, non seulement ne veulent pas d’un prophète ou d’un messie juif, mais non plus interférer dans les affaires des chefs juifs.
Et nous ? N’avons-nous pas tendance à refuser nous aussi d’accueillir celui qui pourrait devenir l’instrument de notre conversion ? N’avons-nous pas, parfois, un peu peur de voir jusqu’où le Seigneur pourrait nous entrainer ? Comment renforcer notre désir, notre confiance et notre espérance en Dieu ?
54 Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? »
L’épisode renvoie à une histoire précise du premier Testament, on y retrouve encore le prophète Elie : Le roi Ocozias était en conflit avec Elie car il voulait consulter le Dieu des Philistins, se montrant ainsi païen. Elie pour cela prophétisa pour lui maladie et mort ce qui entraine la colère du roi qui envoie ses hommes pour se saisir de lui. Mais c’est Dieu lui-même qui défend son prophète et montre sa majesté.
09 Ocozias envoya vers Élie un officier avec ses cinquante hommes. Celui-ci monta vers Élie, le trouva assis au sommet de la montagne et lui dit : « Homme de Dieu, par ordre du roi : Descends ! »
10 Élie répondit à l’officier : « Si je suis un homme de Dieu, qu’un feu du ciel descende et te dévore, toi et tes cinquante hommes ! » Et un feu du ciel descendit et le dévora, lui et ses cinquante hommes.
11 Le roi envoya encore vers Élie un autre officier avec ses cinquante hommes. Celui-ci prit la parole : « Homme de Dieu, ainsi parle le roi : Descends vite ! »
12 Élie leur répondit : « Si je suis un homme de Dieu, qu’un feu du ciel descende et te dévore, toi et tes cinquante hommes ! » Et le feu de Dieu descendit du ciel et le dévora, lui et ses cinquante hommes. (2 R 1, 9-12)
Jacques et Jean n’ont donc pas reconnu le serviteur souffrant d’Isaïe sur le visage décidé de Jésus, mais ils ont cru déceler la marche triomphante du prophète pourfendant les païens. Ils veulent eux-aussi faire tomber le feu du ciel. Cela montre en même temps leur grande foi et leur erreur complète.
Et nous ? Quel sauveur avons-nous, voulons-nous ? Voulons-nous un Dieu vengeur et destructeur ou un Messie proche et humble ? Bien souvent on préfère servir un maître puissant car on se sent participant de sa puissance, mais avec le Christ c’est tout le contraire, nous devons servir un Messie crucifié comme dit st Paul :
23 nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. (1 co 1, 23)
55 Mais Jésus, se retournant, les réprimanda.
Il arrive ici à Jacques et Jean ce qui est arrivé à Saint Pierre en son temps :
31 Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite.
32 Jésus disait cette parole ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches.
33 Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mc 8, 31-33
La traduction de saint Marc dit « l’interpella vivement » mais c’est le même mot qu’en Luc (réprimanda). On a donc de nouveau Jésus qui se retourne et qui réprimande. Ainsi ceux qui pensent que c’est toujours saint Pierre qui se trompe ou qui est recadré voient qu’il arrive la même chose à saint Jean et à saint Jacques.
Notez aussi que Pierre prend Jésus à part, que Jaques et Jean interrogent Jésus. Donc les uns et les autres sont en train de lui parler et il est pourtant dit que Jésus se retourne. Il s’agit de conversion. Mais évidemment ce n’est pas pareil quand on parle de Jésus ou de ceux qui le suivent. Ainsi, Marie madeleine au jour de pâques ne reconnaît pas celui qu’elle prend pour le jardinier mais quand Il l’appelle par son nom elle se convertit et reconnait Jésus :
14 Ayant dit cela, elle se retourna ; elle aperçoit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus.
15 Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Le prenant pour le jardinier, elle lui répond : « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre. »
16 Jésus lui dit alors : « Marie ! » S’étant retournée, elle lui dit en hébreu : « Rabbouni ! », c’est-à-dire : Maître. (Jn 20, 14-16
Une première fois elle se retourne pour quitter son attachement matériel au tombeau. Alors elle voit le Christ mais sans encore le reconnaître. Une deuxième fois elle se retourne à l’appel du Seigneur et là elle le reconnait.
Quand c’est Jésus qui se retourne, il ne se convertit pas comme s’il n’avait pas eu la foi ou s’il avait ignoré quelque chose ou fait du mal, il se retourne sur celui qui fait le mal pour l’inviter à passer vers la lumière et commencer à faire du bien. C’est ce qui arrive aux disciples.
Et nous ? Sommes-nous prêts à nous retourner ? A nous convertir ? Ou bien devrons-nous obliger le Christ à se retourner sur nous ? Peut être avons-nous déjà fait l’expérience de ce retour du Christ sur nous qui est à la fois réprimande et sollicitude, main tendue et exigence de conversion ? Comment avons-nous vécu cela et quel fruit cela a-t-il porté dans nos vies ?
56 Puis ils partirent pour un autre village.
Voyez la miséricorde du Christ, il ne châtie pas ceux qui le refusent et il n’entretient pas non plus de rancœur. Il part vers un autre village. Il ne désespère pas non plus : il croit que d’autres l’accueillerons. Il laisse sa chance à chacun et ne réprimande pas celui qui refuse. S’il réprimande, c’est seulement celui qui prétend se servir de la puissance de Dieu pour faire le mal. Ainsi des deux frères apôtres qui veulent se venger de ceux qui ne les accueillent pas. Ainsi de Simon Pierre tout auréolé d’un compliment de Jésus qui voudrait revendiquer le droit de contrarier le plan divin (lui fit de vifs reproches…).
Et nous ? Sommes-nous prêts à laisser passer l’insulte ou le conflit, en pardonnant et en allant de l’avant ? Où en est notre miséricorde ?
57 En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. »
L’invitation de Jésus à ce qu’on le suive est bien connue. C’est ce qu’il dit déjà aux disciples quand il les appelle :
19 Jésus leur dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » (Mt 4, 59)
Mais aussi pour Matthieu le collecteur d’impôts :
en passant, un homme, du nom de Matthieu, assis à son bureau de collecteur d’impôts. Il lui dit : « Suis-moi. » L’homme se leva et le suivit. (Mt 9, 9)
Voilà pourquoi cet homme pense répondre à l’appel du Christ et manifeste ainsi sa foi et sa disponibilité. Celle-ci ne sera portant pas accueillie. Sans doute parce qu’elle est décision personnelle et non réponse à un appel. Pour être disciple, il ne s’agit pas tant de faire ce que nous voulons pour le Christ, aussi beau que cela puisse être, mais de faire ce que le Christ veut pour nous…
Et nous ? Prenons-nous le temps de discerner ce que Dieu nous demande, nous appelle à vivre ? Faisons-nous sa volonté ou la nôtre ? Notre générosité est-elle limitée par notre volonté ou au contraire est-elle nourrit par notre obéissance ?
58 Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »
Si le renard n’est pas évoqué comme un compliment (c’est ainsi que Jésus parle du roi Hérode :
31 À ce moment-là, quelques pharisiens s’approchèrent de Jésus pour lui dire : « Pars, va-t’en d’ici : Hérode veut te tuer. »
32 Il leur répliqua : « Allez dire à ce renard : voici que j’expulse les démons et je fais des guérisons aujourd’hui et demain, et, le troisième jour, j’arrive au terme. (luc 13, 31-32)
Et c’est de celui qui veut le tuer ou l’empêcher de remplir sa mission qu’il parle), Jésus avait par contre donné les oiseaux du ciel en exemple de confiance et d’abandon à Dieu :
26 Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. (Mt 6, 26)
Mais ici il s’agit non de dire une qualité ou un défaut, plutôt de dire que ces animaux, pourtant insignifiants, sont plus riches que le « fils de l’homme ».
Ce titre est à la fois un titre messianique depuis notamment le prophète Daniel :
13 Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme (Dn 7, 13)
Et aussi
16 Voici comme une forme de fils d’homme qui me toucha les lèvres. J’ouvris la bouche et parlai. (Dn 10, 16)
Mais aussi une façon de rappeler qu’il n’est pas seulement Dieu mais aussi comme nous un fils d’homme. Et cette humilité est telle qu’il ne possède rien, pas même un endroit où reposer la tête.
Et il ne la reposera vraiment que sur la Croix :
Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. (Jn 19, 30)
Ainsi le Seigneur décline l’offre de cet homme à le suivre en rappelant que personne n’est assez pauvre, et que prétendre être avec le Christ n’est pas être à un endroit précis, quitte à changer souvent mais c’est être sur la Croix, c’est donner sa vie.
Et nous ? Jusqu’où sommes-nous prêts à suivre le Christ ?
59 Il dit à un autre : « Suis-moi. »
Cette fois c’est un appel du Christ, comme nous en avons déjà évoqué d’autres (les apôtres, Matthieu). Il n’y a ni fioriture ni faux fuyants. Tel est l’appel du Christ.
Et nous ? Entendons-nous l’appel du Christ dans nos vies ? A quoi nous invite-t-il ?
L’homme répondit : « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. »
La réponse est pleine de déférence (Seigneur), et se veut obéissante (permets-moi). Le mot « d’abord » signifie qu’au bout du compte la réponse sera positive. Et la demande semble des plus légitimes : rendre les honneurs aux morts à toujours été un devoir, et le livre de Tobie montre que certains ont même été des martyrs de cette pratique. Et puis « honorer son père et sa mère », c’est l’un des commandements du Seigneur transmis par Moïse. Là encore, la réponse ne sera pourtant pas agréée par Jésus.
Et nous ? Avons-nous tendance à vouloir nous justifier devant Dieu ? Voulons-nous faire ce que nous voulons en prétendant faire la volonté de Dieu ? Résistons-nous au nom du droit ou de la loi à la volonté souveraine de Dieu ? A qui va notre obéissance : à nous même et nos propres projets, ou à Dieu et son plan de Salut ?
60 Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts.
Cette phrase est souvent difficile à comprendre : comment un mort peut-il faire quelque chose ? Et les honneurs mortuaires ne seraient-ils l’affaire que de personnes qui ne sont pas vraiment vivantes ? Se pourrait-il que Jésus ne nous invite pas au respect pour les morts ?
Première tentative d’explication : Jésus ne prétend pas que les pratiques mortuaires soient morbides ou mortifères, mais il invite plutôt à s’occuper de vivants, il veut que notre deuil ne soit pas tant nous souvenir des morts que de choisir de continuer de vivre.
Deuxième tentative d’explication : il y là deux commandements qui semblent s’opposer : celui d’honorer les parents et celui de suivre Jésus. Mais choisir le commandement qui parle des morts plutôt que celui qui parle des vivants, c’est mettre les morts au-dessus des vivants, c’est être mort soit même. Il ne faut pas abandonner nos morts mais choisir le Vivant.
Troisième tentative d’explication. Jésus introduit quelque chose de radicalement nouveau dans le monde : une Alliance nouvelle où Dieu est vivant parmi nous et en nous. Désormais il fait de nous des vivants que nous soyons dans la chair sur cette terre ou que nous soyons au ciel sans corps. Ce qui fait un vivant n’est pas l’état de son corps mais sa communion avec le Christ. Prétendre ne serait-ce que différer l’obéissance à l’appel de Dieu c’est donc se couper de lui et devenir mort. Nous devons- donc être prêts à entrer dans quelque chose de radicalement nouveau, qui est communion avec le Christ, quitte à ne pas comprendre ce que nous devons faire (car qui comprendrait qu’il faille laisser son père mort ?).
On le voit, ces différentes tentatives sont insuffisantes à rendre compte de manière logique et entière de la volonté de Dieu dans cette circonstance, mais elles convergent toutes sur la nécessité de donner la priorité à Dieu plutôt qu’aux hommes, fussent-ils morts et encore sans sépultures. Elles suggèrent aussi que la mort n’est qu’une anecdote sans importance en comparaison de la vie que Dieu donne. Peut être que l’enseignement est ici plus donné sur la condition de l’homme que sur son action ?
Et nous ? Comment gérons-nous nos conflits entre ce que nous pensons devoir faire et ce que Dieu nous invite à faire ? Est-Il toujours le « premier servi » ?
Toi, pars, et annonce le règne de Dieu. »
Voici dons l’alternative : il faut annoncer le règne qui est vie. Il reste deux remarques à faire, peut-être un peu pour se rassurer. Quand Jésus appelle ses disciples voici ce qu’il est dit d’eux :
il en institua douze pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle (Mc 3, 14)
Il y a donc un lien intrinsèque entre être avec le Christ et partir annoncer la bonne nouvelle. Le verbe « partir » et donc vu plus comme un départ, un commencement, que comme un mouvement, le fait de s’éloigner. Celui qui vient de parler et donc invité à commencer tout de suite à évangéliser, ce qui ne nécessite pas forcément qu’il s’éloigne du lieu où son père est mort et sa famille lui rend hommage.
Ensuite, la mission n’est pas déterminée quant au lieu mais quant à son action : annoncer le règne. Y a-t-il un lieu plus approprié pour annoncer le règne de Dieu qu’une cérémonie d’obsèques où l’on peut dire l’espérance dans la Résurrection et la vie éternelle ? Ainsi l’invitation n’est pas à partir ailleurs pour annoncer à d’autres le règne de Dieu tandis que sa famille enterre son père, mais Jésus l’invite à commencer dès maintenant à annoncer le règne et donc la vie promise même à celui qui est mort. Ceux qui ne croient pas en Dieu et donc sont morts en eux-mêmes vont alors pleurer un mort, tandis que celui qui est envoyé par Dieu célèbre dans la foi et l’espérance le mort qui commence une nouvelle vie et, ainsi, il commence donc à annoncer un règne nouveau où tous sont vivants dans le Christ.
Et nous ? Cette espérance nous fait-elle vivre ?
61 Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. »
Voici encore une fois, disponibilité, foi et confiance, déférence et demande légitime de respect et d ‘amour pour les membres de la famille. Tout semble parfait…
Et nous ? Est-ce que nous conditionnons aussi notre amour de Dieu ? Sommes-nous prêts à le suivre sans mettre des conditions ou des limites ?
62 Jésus lui répondit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu. »
Il a dit ailleurs ce qui est la même chose :
26 « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. (Lc 14, 26)
Là encore, si on réfléchit en termes de conflit d’opposition ou d’exclusion, cela devient incompréhensible. Comment Jésus pourrait il mesurer l’amour ? et surtout comment pourrait-il mesurer l’amour d’un père, d’une mère ou d’un frère… ? Comment peut il hiérarchiser comme si l’amour était matériel ?
Mais si la préférence n’était pas en termes de qualité, ou de quantité mais (ce que l’étymologie suggère) plutôt en chronologie ? Peut être alors pourrons-nous comprendre que celui qui commence par aimer le Christ, découvre en lui la capacité et les raisons pour aimer son frère ou sa sœur et même tout être humain. Et pour cela il ne faut pas oublier que pour aimer ainsi il faut d’abord découvrir que Dieu nous aime et accueillir cet amour. Saint Jean l’a si bien expliqué :
07 Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu.
08 Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour.
09 Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui.
10 Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés.
11 Bien-aimés, puisque Dieu nous a tellement aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres.
Les parties mise en gras dans ce texte montre que l’amour de Dieu est premier car il est l’origine de tout amour. Préférer Dieu c’est donc toujours se rappeler qu’aucun amour n’est possible en dehors de lui et c’est donc recevoir la capacité d’aimer les autres comme fruit de l’amour de Dieu. Ainsi, si je préfère Dieu je pourrais aimer d’avantage ceux qu’Il a mis sur ma route
Et nous ? Faisons-nous l’effort d’enraciner notre amour en Dieu pour qu’il soit véritable ? Quelle place faisons-nous à Dieu dans nos histoires d’amour ? En quoi notre amour de Dieu change-t-il notre façon d’aimer les autres ?
En guise de conclusion : Tout commence par la volonté de Jésus de préparer, d’initier le plus grand acte d’amour qui soit concevable : le Dieu Tout Puissant et Eternel va offrir sa vie, le Saint va mourir pour les pécheurs. Jésus est si plein d’amour pour nous qu’il est déterminé à marcher vers sa Passion.
En chemin il enseigne aux disciples Jacques et Jean la miséricorde, le pardon, la douceur, et aux foules que l’amour est un don total et irréversible. Il montre que sa source est en Dieu et que c’est seulement dans l’amour de Dieu qu’on trouvera un amour vrai et profond pour l’homme, pour tout homme. Cela nous invite à bien des conversions, à bien des renoncements, qui souvent nous semblent insurmontables et même inenvisageables, peut être simplement parce que nous ne savons pas encore aimer…