Évangile du dimanche 31 juillet : 18e ordinaire (C)

Avant tout je vous propose un temps de prière autour du texte d’évangile, selon la méthode dites de la « lectio divina » (lecture divine, lecture de la Parole divine) en groupe (la famille ou personnellement) la méthode est juste ci-dessous.

Ensuite je reprends le texte et vous invite à une méditation partie par partie. Cela devrait vous aider à mieux comprendre le texte et à mieux l’assimiler mais rien ne vaut le temps de prière initial.

         Bonne réflexion et prions les uns pour les autres !

Père Christohpe

LECTIO DIVINA : LA METODE

1- lire silencieusement le texte évangélique pour une meilleure compréhension

2- lire à haute voix (une personne) sans lenteur ni précipitation

Silence pour intérioriser (3 minutes)

Expression libre : chacun est invité à dire le groupe de mots du texte qui lui parle, le touche ; les autres écoutent et accueillent sans questions ni commentaires

3- Relire le texte à haute voix (une autre personne)

Silence pour intérioriser (5 minutes) : qu’est-ce qui me parle aujourd’hui ; comment cela touche-t-il ma vie ?

Expression brève pour ceux qui le souhaitent

4- relire le texte à haute voix (une troisième personne)

Silence pour intérioriser (5minutes) : Quelle prière monte en moi ?

Expression libre et brève d’une prière

Terminer par un Notre Père en commun

 

Evangile de Jésus Christ selon st Luc (Lc 12, 13-21) 

13 Du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. » 

14 Jésus lui répondit : « Homme, qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? » 

15 Puis, s’adressant à tous : « Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. » 

16 Et il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté. 

17 Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.” 

18 Puis il se dit : “Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. 

19 Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.” 

20 Mais Dieu lui dit : “Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?” 

21 Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. » 

 

Lecture ligne à ligne 

13 Du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus :  

Nous sommes toujours dans cette grande incise de l’évangile de Saint Luc, section qui a pour cadre la montée de Jésus de la Galilée vers Jérusalem, et dans laquelle l’auteur insère nombre d’enseignement et de miracles sans plus en préciser la chronologie ou le lieu. Tout juste avons-nous des indications “un jour” ou bien “Jésus traversait villes et villages” ou encore : 

Jésus était en train d’enseigner dans une synagogue, le jour du sabbat (Lc 13, 10) 

Dimanche dernier nous recevions trois enseignements groupés qui parlaient de la prière, dans le texte de ce dimanche il s’agit plutôt de détachement et d’Espérance dans le royaume. Ces différents thèmes sont introduits par des questions. Dimanche dernier un disciple avait demandé :  

« Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. » (Lc 11, 1) 

Ici ce n’est pas un disciple mais un inconnu au milieu de la foule. Cela nous montre que Jésus agit comme les rabbins dans leurs écoles qui se laissaient interroger par leurs disciples, ceux-ci devant montrer par leur question qu’ils avaient travaillé et médité la Parole. Le plus souvent les rabbins ne répondaient pas par une théorie mais par des questions qui réorientaient et obligeaient le disciple à approfondir ses recherches. Jésus fait de même comme lorsque le docteur l’avait interrogé sur le premier commandement :  

25 Et voici qu’un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » 

26 Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » (Lc 10, 25-26) 

Et plus loin il raconte la parabole du Bon Samaritain mais demande au même docteur d’en chercher la conclusion :  

36 Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » (Lc 10, 36) 

Ici aussi, Jésus se laisse interpellé, considérant toute la foule comme des disciples. 

Et nous ? Sommes-nous prêts à poser à Jésus les questions qui agitent notre cœur ? N’avons-nous pas tendance à vouloir trouver les réponses et les solutions tout seul, négligeant les enseignements du Seigneur ou les dons de Conseil et de Sagesse et d’Intelligence que L’Esprit agit en nous depuis le jour de notre Confirmation ? 

Et Sommes-nous prêts à ne pas entendre une réponse toute faite mais plutôt une invitation à la réflexion, l’approfondissement et la recherche toujours plus vraie de la volonté de Dieu ? 

« Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. » 

L’interpellation “maître” montre bien comment fonctionnait le Christ et comment la foule le regardait : comme un rabbin errant et enseignant non à des disciples mais à la foule. Notons que le “rabbi” n’est pas interrogé seulement sur des questions de foi mais aussi sur un arbitrage des plus matériel. 

L’expression “dis à mon frère” peut nous renvoyer à l’épisode de Marthe et Marie :  

Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. (Lc 10, 40) 

On passe de la sœur au frère, mais toujours on retrouve cette audace d’un humain qui prétend commander à celui qui est la Parole de Dieu ce qu’il doit dire ! Marthe n’obtint pas la réponse souhaitée mais plutôt une invitation personnelle à la conversion :  

Tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. (Lc 10, 41) 

De même pour celui-ci, comme nous le verrons un peu plus loin :  

Gardez-vous bien de toute avidité (V 15) 

Et nous ? Voyons-nous Jésus comme un maître ? Sommes-nous prêts à nous laisser enseigner et cela à tout instant et sur tous les sujets ?  

Et quand nous posons une question au Seigneur, sommes-nous disponibles pour recevoir plus que nous n’avions demandé, une invitation à la conversion et à la sainteté ? 

14 Jésus lui répondit : « Homme,  

Jésus l’appelle “Homme”, peut être pour souligner que sa question est trop humaine. Il veut simplement une résolution de conflit, non sur des sujets touchant à la vérité ou au Salut, mais simplement sur des règles purement humaine et circonstancielles, touchant à la gestion d’un héritage de bien matériel. Rappelons-nous l’avertissement de Jésus en une autre occasion : 

Il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »  

L’homme possède une liberté et une autonomie qui doit lui permettre de faire des choix, édicter des règles et des lois… et c’est alors à lui de les appliquer ou de les réformer. Dieu, Jésus n’interviendra que si ces règles sont injustes :  

07 Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » (Jn 8, 7) 

 Ou contraire à la loi divine  

Dieu a dit : Honore ton père et ta mère. Et encore : Celui qui maudit son père ou sa mère sera mis à mort. 

05 Et vous, vous dites : “Supposons que quelqu’un déclare à son père ou à sa mère : “Les ressources qui m’auraient permis de t’aider sont un don réservé à Dieu.” 

06 Dans ce cas, il n’aura plus à honorer son père ou sa mère.” Ainsi, vous avez annulé la parole de Dieu au nom de votre tradition ! Hypocrites ! (Mt 15, 4-6) 

Ou que celle-ci est mal interprétée 

12 Quand Jésus la vit, il l’interpella et lui dit : « Femme, te voici délivrée de ton infirmité. » 

13 Et il lui imposa les mains. À l’instant même elle redevint droite et rendait gloire à Dieu. 

14 Alors le chef de la synagogue, indigné de voir Jésus faire une guérison le jour du sabbat, prit la parole et dit à la foule : « Il y a six jours pour travailler ; venez donc vous faire guérir ces jours-là, et non pas le jour du sabbat. » 

15 Le Seigneur lui répliqua : « Hypocrites ! Chacun de vous, le jour du sabbat, ne détache-t-il pas de la mangeoire son bœuf ou son âne pour le mener boire ? 

16 Alors cette femme, une fille d’Abraham, que Satan avait liée voici dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer de ce lien le jour du sabbat ? » (Lc 13, 12-16) 

Mais peut être l’appelle-t-il “homme” comme il a appelé sa mère “femme” : 

 Femme, que me veux-tu ? (Jn 2, 4)  

Il s’agit alors de souligner que ce n’est pas seulement à elle ou à lui que Jésus s’adresse amis à tous ceux qui pourraient se retrouver dans les mêmes circonstances : pour Marie, un manque de vin et une inquiétude pour les mariés de Cana… par sa foi elle obtiendra le miracle de l’eau changé en vin, pour cet homme, un simple litige avec son frère et la recherche d’une solution humaine, il obtiendra une invitation à la conversion et à la pauvreté. 

Et nous ? Quelle est notre rapport à la loi divine, comment l’observons-nous ? Cherchons-nous à l’instrumentaliser ou à la contourner ? La négligeons-nous ?  

Et quand nous sollicitons le Seigneur, est-ce avec amour, foi et obéissance ou seulement par facilité ou recherche de confort ou d’avantages matériels ? 

qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? » 

Cette question de Jésus renvoie naturellement à l’épisode du livre de l’exode ou Moïse après avoir tué un égyptien, oppresseur de son peuple, veut séparer deux hébreux qui se querellent :  

Voici que deux Hébreux se battaient. Il dit à l’agresseur : « Pourquoi frappes-tu ton compagnon ? » 

14 L’homme lui répliqua : « Qui t’a institué chef et juge sur nous ? (Ex 2, 13-14) 

L’hébreux conteste la légitimité de Moïse, et de même Jésus conteste sa légitimité quant aux conflits de familles qui lui est présenté. Mais St Luc plus tard, dans les actes des apôtres, mettra sur la bouche de Saint Etienne prêchant dans la synagogue ce commentaire :  

35 Ce Moïse que l’on avait rejeté en disant : Qui t’a établi chef et juge ? Dieu l’a envoyé comme chef et libérateur, avec l’aide de l’ange qui lui était apparu dans le buisson. (Ac 7, 35) 

Voilà qui donne du relief à la question de Jésus. Il ne dit pas tant :  

  • “je n’ai pas été établit comme juge”  

Mais plutôt :  

  • “es-tu conscient que ce n’est pas toi ou aucun homme qui me fait juge mais Dieu seul ? ”  

Autrement dit 

  • “si tu me demandes de juger entre toi et ton frère, je ne jugerai pas seulement sur l’héritage mais sur tout ce que vous êtes et faites, car je suis le juge divin et j’ai tout pouvoir, je règne sur la Création toute entière”. 

Et nous ? Sommes-nous conscients de Celui à qui nous nous adressons quand nous prions ? Savons-nous et nous rappelons-nous qu’Il ne se limite pas à nos petites préoccupations mais qu’Il juge de tout en parfaite justice ? 

15 Puis, s’adressant à tous : « Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. » 

Voici la confirmation de ce que nous disions précédemment. Jésus ne parle pas seulement de justice humaine ou de droits de succession. Il ne parle même pas seulement de justice. Il nous parle surtout de salut, il nous parle d’espérance et de vie éternelle. Quand il dit :  » Gardez-vous de toute avidité”, il parle de pauvreté, de sobriété, de justice. Mais quand il dit : “la vie de quelqu’un ne dépend pas de ce qu’il possède”, il parle autant de la vie sur cette terre qui ne saurait se résumer à ce que nous possédons, que de la vie éternelle qui elle ne dépend en rien de nos avoirs, mais qui s’obtient par la grâce de Dieu si nous pratiquons les vertus dont nous venons de parler : pauvreté, sobriété, justice, sans oublier bien sûr la charité qui nous fera toujours préférer un frère a un héritage si important soit-il.  

Tout cela évoque de nombreux autres passages de l’évangile comme par exemple : 

03 « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. (Mt 5, 3) 

Dans cette béatitude, nous voyons bien le rapport entre la pauvreté et le Royaume des cieux. Le seigneur précise : “ les pauvres de cœur”, pour bien montrer que sa pensée ne se limite pas à des biens matériels, mais qu’il songe surtout aux biens spirituels, à la bonté, la générosité, la compassion, La charité. Ici aussi, quand il parle d’avidité, il ne se limite pas à la sphère matérielle ou aux questions d’argent, mais il pense surtout à la confiance en Dieu, à l’abandon assassin de providence, et donc à ne se soucier en rien de ce que nous avons mais plutôt de ce que nous devons conquérir ou plutôt recevoir : le salut et la vie éternelle.  

C’est bien ce qu’il nous explique par exemple dans ce passage :  

24 Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent. 

25 C’est pourquoi je vous dis : Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ? 

26 Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Vous-mêmes, ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? 

27 Qui d’entre vous, en se faisant du souci, peut ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? (Mt 6, 24-27) 

Il conclue d’ailleurs quelques lignes plus loin :  

31 Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : “Qu’allons-nous manger ?” ou bien : “Qu’allons-nous boire ?” ou encore : “Avec quoi nous habiller ?” 

32 Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. 

33 Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. 

34 Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. (Mt 6, 31-34 

Et nous ? Quelle est notre confiance en la Providence ? Où en est notre capacité à nous abandonner entre les mains de Dieu ? Sans doute ne faut-il pas mal interpréter de telles phrases : la vocation à la pauvreté radicale, celle qu’a vécu st François d’Assise et à sa suite ceux qu’on a appelé les ordres mendiants car ils ne vivent que des dons des fidèles, est une vocation particulière. Tous ne sont pas appelés à vivre ainsi et il est légitime pour des parents de prévoir ce qui sera nécessaire à la vie et à l’éducation de leurs enfants. Mais même dans ces circonstances, il s’agit uniquement de regarder ce qui est nécessaire et non pas de vouloir entasser ou prévoir le superflu… En d’autres termes, Jésus n’oppose pas pauvreté et prévoyance, mais pauvreté et thésaurisation, c’est-à-dire accumulation de richesses sans but ni utilité pour qui que ce soit. Quand la richesse devient un bien et un objectif en soi et non un moyen pour le bien des hommes, alors quelque chose est faussé. 

16 Et il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté. 

Nous savons que souvent, dans les paraboles de Jésus, l’homme riche a le mauvais rôle. Ce sera encore le cas cette fois-ci, mais il y a cette fois une précision nouvelle : son domaine a été prospère. C’est important car pour trous les auditeurs cela signifie naturellement qu’il a été béni de Dieu, protégé par la Providence qui lui a évité toute sorte de calamité qui peuvent réduire à néant le travail des agriculteurs.  

Ainsi non seulement cet homme et riche, mais aussi il semble que Dieu soit bon avec lui. Il n’y a donc aucune condamnation de la richesse comme telle. 

Et nous ? Sommes-nous capables de reconnaître dans nos réussites le doigt généreux de la bienveillante providence divine ? Sommes-nous prêts à reconnaître, même dans nos plus évidentes réussites personnelles, que rien n’aurait pu se faire si Dieu ne l’avait permis ainsi ? 

Bien souvent, nous savons face aux malheurs ou aux difficultés accuser le Seigneur qui a permis cela, mais le ferons-nous aussi pour le bonheur ou les réussites ? 

17 Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.” 

Voici que cet homme se pose la bonne question : devant toutes ses richesses qui dépassent même ses propres capacités, la question est “que faire”.  

Et nous ? Dans les différentes situations de la vie, prenons-nous le temps de prendre du recul, de réfléchir et chercher à discerner ce que nous devons faire. Il ne s’agit ni de nous arrêter, ni de continuer simplement ce qui nous avons toujours fait mais bien de chercher ce qui doit être fait, ce qu’il y a de plus juste, de meilleur. 

18 Puis il se dit : “Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. 

Jusque-là les paroles du seigneur ne sont pas critiques vis-à-vis de cet homme. Mais avec cette phrase, si nous sommes attentifs, nous commençons à entrevoir le mauvais penchant de son cœur. En effet une simple phrase contient 4 fois le mot “je”, sans oublier 3 fois l’adjectif possessif “mon” où “mes”. Une telle tendance à l’égocentrisme ne pourra que montrer les limites, les errances et pour tout dire le péché de cet homme. Le redoublement final : “tout mon blé et tous mes biens”, est là pour insister sur le repli sur soi de cet homme. 

Et nous ? Pouvons-nous repérer les domaines de notre vie où nous ne sommes pas prêts à nous ouvrir aux autres ? Savons-nous quels sont les limites de notre générosité ? Connaissons-nous nos propres faiblesses et limites quand il s’agit de donner, de s’offrir, de s’abandonner ? 

19 Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.” 

L’expression initiale, si inhabituelle : “je me dirai à moi-même” confirme le repli total sur soi et l’incapacité à s’ouvrir aux autres. Tout le reste va dans le même sens : il semble seul à pouvoir jouir de ses biens, il n’y a plus même une personne pour pouvoir partager sa nourriture ou sa boisson, pas même un flatteur pour lui dire sa réussite ou le féliciter, plus personne que lui dialoguant avec à lui-même.  

Nous voyons alors se révéler la pauvreté du projet de vie :  

“Repose-toi, mange, bois, jouis…” 

 et l’illusion de la maitrise absolue :  

“… à ta disposition, pour de nombreuses années” 

Et nous ? Pouvons-nous décrire notre projet de vie ? Quelles sont nos aspirations, nos objectifs et notre espérance ? Pouvons-nous en être fiers devant le Seigneur ?  

Et pouvons-nous aussi lister les personnes qui donnent un sens et une épaisseur à ce projet : ceux que nous aimons, ceux que nous aidons, ceux sur qui nous comptons aussi pour cheminer et grandir ensemble ? 

20 Mais Dieu lui dit : “Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie.  

La chute est volontairement brutale. Il ne s’agit pas de déconstruire le semblant de maitrise et de puissance de cet homme, mais plutôt de le confronter à sa vanité, à sa fragilité. Et cela ne se fait pas seulement en fonction des circonstances, mais surtout par comparaison à Celui qui seul tient en main la destinée des hommes. La richesse a pu donner le sentiment de la puissance à cet homme par comparaison aux autres personnes qui l’entourent, mais qui est-il face à Dieu ? Nous voyons ici encore que Jésus ne fait pas de morale mais bien un enseignement sur la providence et l’amour de Dieu qui seul peut nous sauver. 

Et nous ? Ne sommes-nous pas souvent un peu trop matérialistes, ne jugeant les choses qu’à l’aune de ce monde et de ce temps ? Comment prenons-nous en compte l’éternité de Dieu pour fixer nos critères d’actions et de choix ? Notre vie est-elle limitée à son temps sur la terre ou bien savons-nous la regarder avec les yeux de Dieu et donc comme une introduction à notre éternité bienheureuse. C’est bien ce que Jésus fait comprendre à ses disciples de retour de leur première mission :  

Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. » (Lc 10, 20) 

Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?” 

Cette question renvoie fatalement aux livres de la sagesse de Salomon dans le premier Testament et notamment : 

18 Je déteste tout ce travail que j’accomplis sous le soleil et que je vais laisser à mon successeur. 

19 Qui sait s’il sera sage ou insensé ? Ce sera lui le maître de tous ces travaux (Qo 2, 18-19) 

Ou encore  

02 Voilà un homme auquel Dieu a donné d’être riche, nanti, considéré : rien ne lui manque de tout ce qu’il souhaite. Mais Dieu ne lui a pas laissé le temps d’en profiter : un autre, un étranger, en profite. Cela aussi n’est que vanité (Qo 6, 2) 

Et surtout :  

18 Tel s’enrichit à force d’être économe et regardant, mais voici ce qu’il y gagne : 

19 quand il dit : « Enfin le repos ! Maintenant je vais jouir de mes biens », il ignore combien de temps cela va durer : il devra laisser ses biens à d’autres et mourra. 

20 Reste attaché à ton métier, sois assidu, continue ton ouvrage jusqu’à la vieillesse. 

21 Ne sois pas admiratif devant les œuvres du pécheur, fais confiance au Seigneur et persévère dans ta besogne. Car il est facile au Seigneur d’enrichir le pauvre à l’improviste, en un instant. 

22 La récompense de qui est religieux, c’est la bénédiction du Seigneur : en peu de temps, il fait fleurir cette bénédiction. 

23 Ne dis pas : « De quoi pourrais-je avoir besoin ? Quels biens puis-je avoir encore ? » 

24 Ne dis pas non plus : « J’ai tout ce qu’il me faut. Quel mal pourrait encore m’atteindre ? » 

25 Au jour du bonheur, on oublie le malheur ; au jour du malheur, on oublie le bonheur. 

26 Mais au jour de la mort, il est facile, pour le Seigneur, de rendre à l’homme selon sa conduite. (Si 11, 18-26) 

Jésus réfère ainsi explicitement son enseignement à celui du sage Salomon mais surtout il montre que tous ses avis n’ont de sens que s’ils sont réfléchis dans le plan de Dieu et au regard de l’éternité. Le drame n’est pas d’être riche mais de savoir ce que nous ferons de ces richesses. Il ne s’agit pas tant de les repousser, de le refuser ou de les cacher que des utiliser pour faire la volonté de Dieu.  

Et nous ? A quoi nous servent nos richesses, qu’elles soient grandes ou petites, qu’en faisons-nous ? 

21 Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. » 

Il n’est guère besoin d’expliquer ce que signifie amasser pour soi-même, mais que veux dire être riche en vue de Dieu ? La conclusion de la parabole du gérant malhonnête peut nous éclairer :  

09 Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. 

10 Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande. 

11 Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? 

12 Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ? 

13 Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. » (Lc 16, 9-13) 

La première des choses est de souligner que le Seigneur désigne explicitement l’argent comme malhonnête. Cet argent qui n’est qu’un moyen et qui voudrait devenir une fin en soi. Cet argent qui est au service des hommes mais qui voudrait devenir leur maître comme le dit explicitement le dernier verset, comparant l’argent et Dieu.  

La deuxième réflexion porte sur la vanité de l’argent : un jour il n’y en aura plus! 

La troisième réflexion porte sur l’usage de l’argent : celui-ci malhonnête, mais notre gestion de l’argent, notre utilisation de l’argent peut être digne de confiance, il est possible de l’utiliser pour faire le bien et notamment pour grandir dans l’amour et l’amitié (faites-vous des amis), et ceux-là seront vrais qui nous accueillerons dans les demeures éternelles, c’est-à-dire que nous aurons aidés à devenir des saints et qui nous y aideront à leur tour. 

La dernière réflexion est la réponse à la question : devenir riche en vue de Dieu c’est donc n’avoir pas succomber à la fausse richesse de l’argent, avoir choisi l’amour, l’amitié, la charité, être resté honnête et saint et donc ne pas avoir mis sur un pied d’égalité Dieu et l’argent, ne pas avoir fait de l’argent et des richesses notre dieu, en abandonnant le vrai Dieu. 

En d’autres termes, être riche en vue de Dieu c’est avoir quelque chose à présenter devant Dieu quand l’heure du jugement aura sonné. Mais le psaume nous avertis :  

17 Ne crains pas l’homme qui s’enrichit, qui accroît le luxe de sa maison : 

18 aux enfers il n’emporte rien ; sa gloire ne descend pas avec lui. 

19 De son vivant, il s’est béni lui-même : « On t’applaudit car tout va bien pour toi ! » 

20 Mais il rejoint la lignée de ses ancêtres qui ne verront jamais plus la lumière. 

21 R / L’homme comblé qui n’est pas clairvoyant ressemble au bétail qu’on abat. (PS 48, 17-21) 

Si le riche ne voit plus la lumière, s’il n’emporte rien dans la mort, quelle richesse pouvons-nous avoir en vue de Dieu ? Ce qui peut passer la mort ce qui est dans le cœur des saints qui sont auprès de Dieu. C’est l’idée de se faire des amis qui nous accueillerons dans les demeures éternelles : si nous avons aimé un fils de Dieu, quand nous apparaitrons au ciel il sera là avec tous son amour pour nous et nous serons riche de cela. Il y a encore ce qui appartient à Dieu en propre, mais cela revient presqu’au même, puisque ce qui appartient à Dieu mais qui est notre richesse, c’est ce que nous avons fait pour Lui. Mais lui n’a pas besoin de nous et fait tout mieux que nous, Il possède tout et est tout puissant, que pourrions-nous prétendre avoir fait pour Lui. C’est lui qui nous l’explique :  

“Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.” (Mt 25, 40) 

Ce qui est notre richesse en vue de Dieu c’est donc ce que nous avons fait pour nos frères. 

Et nous ? Pouvons-nous repérer une chose dont nous savons qu’elle nous sera comptée comme une richesse en vue de Dieu, sans nous enorgueillir puisque nous savons que c’est la grâce de Dieu qui est à l’origine de toutes nos réussites ? 

Aurons-nous la simplicité aussi de reconnaître ce qui nous appauvrit en vue de Dieu, ce qui nous reste à convertir et réformer ? 

 

En guise de conclusion : à une demande toute simple d’arbitrage de conflit, Jésus répond par un double enseignement. Il nous enseigne sur le juste rapport aux richesses et aux biens matériels, et il nous enseigne sur le sens et la valeur de cette vie présente qui ne se mesure qu’en lien avec le Salut et la Vie Eternelle. C’est pour cela qu’il refuse de trancher mais incite à réfléchir à qui Il est et qui l’a établi, car la mission qu’il a reçue nous fait immédiatement dépasser les querelles humaines et fraternelles pour entrer dans la recherche de Dieu et l’amour paternel.  

Notre vie sur a terre est une introduction au ciel, notre vie en ce temps et une introduction à l’éternité, notre honnêteté, notre amour de Dieu et des frères, la confiance que nous aurons suscitée, la générosité dont nous aurons fait preuve, toutes les vertus acquises, les services rendus, l’amour offert ou reçu, tout cela devient dans notre cœur comme dans celui de Dieu des richesses en vue du Salut et de la vie éternelle. C’est cela que le Seigneur et venu nous offrir, ne nous arrêtons pas à des détails de règlements et de lois humaines, tout comme l’argent tout cela doit nous servir à faire le bien et seulement à cela. Une seule chose est nécessaire : faire la volonté de Dieu sur nous en tout temps.