Évangile du dimanche 20 novembre

Lectio Divina du dimanche 20 novembre 2022

Notre Seigneur Jésus Christ Roi de l’Univers (C)

Evangile de Jésus Christ selon st Luc (Lc 23, 35-43) 

 En ce temps-là, on venait de crucifier Jésus, et 35 Le peuple restait là à observer. Les chefs tournaient Jésus en dérision et disaient : « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! » 
36 Les soldats aussi se moquaient de lui ; s’approchant, ils lui présentaient de la boisson vinaigrée, 
37 en disant : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » 
38 Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : « Celui-ci est le roi des Juifs. » 
39 L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! » 
40 Mais l’autre lui fit de vifs reproches : « Tu ne crains donc pas Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! 
41 Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. » 
42 Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » 
43 Jésus lui déclara : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »

 Lecture ligne à ligne 

En ce temps-là, on venait de crucifier Jésus, et 35 Le peuple restait là à observer.

L’année C choisit donc de nous faire méditer la royauté du Christ sur l’univers en prenant un extrait de la Passion. C’est un choix audacieux qui peut paraître paradoxal puisque c’est le moment où le Christ épouse le plus la faiblesse de notre humanité, alors qu’Il est vulnérable, blessé et humilié que nous sommes invités à y voir notre roi.
Et ce texte s’ouvre sur un constat étonnant : « le peuple restait là à observer ». Pourquoi ? est-il en attente d’un miracle ? est-il en attente d’un signe ?est-il dans l’espoir de voir quelque chose arriver ? pense-t-il que ce Jésus ne peut finir ainsi ou que ces disciples vont forcément intervenir ? C’est là une façon très anachronique de penser, on trouve plus simplement la réponse quelques versets plus loin :
48 Et toute la foule des gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, observant ce qui se passait, s’en retournaient en se frappant la poitrine. (Lc 23, 48)
C’est pour chaque personne du peuple un spectacle que de voir une crucifixion. On y vient, on regarde et même on observe, cela permet sans doute de mieux se connaître en vie ou de méditer sur les crimes commis et le châtiment reçu. Ce verset 48 nous montre que la plupart de ceux qui sont là n’avait sans doute pas de sentiment positifs ou négatifs vis-à-vis de Jésus. Ils ne sont là ni pour l’accabler, ni pour le soutenir, mais simplement au spectacle…

Et nous ? Quand nous participons aux événements de la vie chrétienne : sacrements, fêtes ou temps forts, quelle est notre implication ? Sommes-nous là comme des spectateurs, des consommateurs ou des acteurs ? Y mettons-nous notre espérance ou seulement des habitudes ou des références extérieures (« on a été élevé comme ça », « ça se fait », « tout le monde fait ça dans ma famille », « c’est notre culture »…). Notre foi est-elle une partie de ce que nous sommes ? une case dans notre vie ou le sens de celle-ci ?

Les chefs tournaient Jésus en dérision

Après le peuple, les chefs. Eux ne se contentent pas d’observer, ils attaquent, ils moquent et tournent en dérision. Ces chefs du peuple sont ceux qui ont excité la foule et tenu tête à Pilate pour que Jésus soit condamné :
13 Alors Pilate convoqua les grands prêtres, les chefs et le peuple.
14 Il leur dit : « Vous mavez amené cet homme en laccusant dintroduire la subversion dans le peuple. Or, jai moi-même instruit laffaire devant vous et, parmi les faits dont vous laccusez, je nai trouvé chez cet homme aucun motif de condamnation.
15 Dailleurs, Hérode non plus, puisquil nous la renvoyé. En somme, cet homme na rien fait qui mérite la mort.
16 Je vais donc le relâcher après lui avoir fait donner une correction. »
18 Ils se mirent à crier tous ensemble : « Mort à cet homme ! Relâche-nous Barabbas. » (Lc 23, 13 à 18)
Et on trouve en parallèle dans l’Evangile de Saint Matthieu :
20 Les grands prêtres et les anciens poussèrent les foules à réclamer Barabbas et à faire périr Jésus. (Mt 27, 20)
Cela signifie qu’ils ont apparemment gagné, ils ont obtenu ce qu’ils voulaient, leur ennemi est condamné et même humilié et massacré, mais cela ne leur suffit pas, ils en veulent toujours plus. Détruire sa vie ne leur suffit pas, il faut maintenant détruire sa notoriété et sa réputation, s’assurer que personne ne pourra plus parler en bien de lui.
Ils ont manipulé la foule, ils ont faussé le procès et maintenant ils profitent de leur position de force pour réduire encore celui qui est vaincu, sans aucune pitié, sans respect, ni décence.

Et nous ? Quand nous vivons un conflit, que cherchons nous ? A gagner ou à trouver une solution ? Notre adversaire est-il notre ennemi ? Voulons-nous faire triompher la vérité et la justice ou bien cherchons-nous notre gloire et notre intérêt ? Savons-nous respecter notre adversaire, même quand lui ne nous respecte pas ? N’est-ce pas le sens du commandement :
44 Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent,
45 afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
46 En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes nen font-ils pas autant ?
47 Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous dextraordinaire ? Les païens eux-mêmes nen font-ils pas autant ?
48 Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. (Mt 5, 44-48)

et disaient : « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! »

Voici que les chefs donnent, ou plutôt contestent deux titres à Jésus : le Messie et l’élu. Le Messie est la figure de l’envoyé de Dieu. Initialement, ce terme désigne simplement le roi en tant qu’il a reçu l’onction et donc est consacré par le Seigneur pour guider son peuple. Mais le roi terrestre devient la figure de Celui qui conduira le peuple d’Israël jusqu’à Dieu. Il devient alors celui qu’on attend et qui sauvera définitivement le peuple, qui rétablira l’alliance avec Dieu, une alliance définitive. Jésus ne s’est jamais attribué ce titre mais il ne reprend pas saint Pierre qui l’appelle ainsi :
20 Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Pierre prit la parole et dit : « Le Christ, le Messie de Dieu. »
21 Mais Jésus, avec autorité, leur défendit vivement de le dire à personne,
22 et déclara : « Il faut que le Fils de lhomme souffre beaucoup, quil soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, quil soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. » (Lc 9, 20-22)
Jésus ne reprend pas saint Pierre mais il se désigne plutôt comme « fils de l’homme » qui est un autre titre du premier Testament pour désigner le sauveur, qu’on trouve par exemple dans le livre de Daniel :
13 Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils dhomme (Dn 7, 13)
Ainsi Jésus ne veut pas du titre qui avait encore une certaine ambiguïté de messie, pour que personne ne l’imagine en roi terrestre avec couronne, armée et pouvoir sur les autres.
Quand au titre d’élu, il désigne plus souvent le peuple dans son ensemble qu’une personne en particulier. On parle du « peuple élu » ou alors « des élus » pour signifier la sainteté des personnes ou le rapport particulier du peuple avec Dieu. Jésus ne se désigne jamais ainsi. Il faut tout de même remarquer que la voix divine qui se fait entendre au baptême parle de celui quelle a choisi :
Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » (Lc 9,35)
Elu ou choisi sont deux choses à peu près synonymes. Mais ici le « choisi » est aussi le « Fils », ce qui évite tout doute sur la spécificité et donc le caractère unique du Christ. Il n’est pas un choisi parmi d’autre mais le seul qui soit le Fils choisi. Cela signifie que Dieu a choisi de faire de son fils un homme, Jésus et non que parmi les hommes, le Père en aurait choisi un, pour qu’il devienne son fils. Ce serait nier que Jésus est au sens propre le Fils éternel de Dieu.
Les chefs du peuple contestent donc au Christ, non pas tant des titres, puisqu’Il ne les a jamais revendiqués, mais plutôt une qualité : il n’est pas le Sauveur, celui qui doit venir ou le grand prophète, selon les questions que les envoyés des pharisiens avaient posées à Jean Baptiste pour savoir s’il était le Sauveur :
19 Voici le témoignage de Jean, quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander : « Qui es-tu ? »
20 Il ne refusa pas de répondre, il déclara ouvertement : « Je ne suis pas le Christ. »
21 Ils lui demandèrent : « Alors quen est-il ? Es-tu le prophète Élie ? » Il répondit : « Je ne le suis pas. Es-tu le Prophète annoncé ? » Il répondit : « Non. » ( Jn 1, 19-21)
Quant à l’invitation : « qu’il se sauve lui-même », elle va être comme un refrain dans ce texte. Elle part de l’apparente évidence : « celui qui doit sauver les autres doit dabord se sauver lui-même ». Cette évidence n’est qu’apparente, d’abord parce que le Sauveur n’agit pas de son propre chef mais par mission de Dieu, du Père, comme jésus le dit lui-même :
37 Tous ceux que me donne le Père viendront jusqu’à moi ; et celui qui vient à moi, je ne vais pas le jeter dehors.
38 Car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui ma envoyé.
39 Or, telle est la volonté de Celui qui ma envoyé : que je ne perde aucun de ceux quil ma donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour.
40 Telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. » (Jn 6, 37- 40)
Cette évidence est apparente aussi parce que le Sauveur est venu pour servir et non pour être servi ou se servir. Le Salut qu’il annonce n’est donc pas pour lui,qui n’a pas besoin d’être sauvé, mais pour les autres. Ce Salut ne concerne pas tant la mort physique que le péché. Et s’il concerne la mort physique, ce n’est qu’en lien avec la Résurrection et non la dispense de mourir. Au contraire, c’est justement par sa mort que le Seigneur nous a sauvés en rachetant notre vie au prix de son propre sang. Lui qui ne devait pas mourir, puisqu’il n’a jamais péché, est mort pour nous, à notre place, de sorte que nous, qui devons mourir à cause de nos péchés, nous vivions par Lui.
Enfin, cette évidence est une tentation ultime : Jésus est invité à faire de sa puissance divine une manifestation de force ou de gloire à la manière du monde. Il refuserait ainsi non seulement la mort mais le plan de Salut de Dieu. Il agirait pour Lui seul et donc non pas pour Dieu et son amour miséricordieux, ni pour l’humanité en quête de rachat et de Salut. Mais à cette tentation Jésus a répondu par avance durant son agonie :
il priait en disant :
42 « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » (Lc 22, 42)

Et nous ? Comment percevons-nous la grandeur du sacrifice du Christ ? Sommes-nous conscients de ce qu’il est et de ce qu’il a donné pour nous ? Nous arrive-t-il de demander à Dieu d’être plus un « faiseur de miracles » qui facilite notre vie qu’un Sauveur qui nous obtiendrait la vie éternelle ? Et si l’on nous demande d’expliquer ce que signifie les expressions « Christ- Sauveur » ou « il a donné sa vie pour nous » comment les expliquerions-nous ?

36 Les soldats aussi se moquaient de lui ; s’approchant, ils lui présentaient de la boisson vinaigrée, 

Après la foule qui regarde, après les chefs qui tournent en dérision, voila les soldats qui se moquent ! et tout cela pour célébrer le Christ-Roi !
Nous avons noté que la dérision des chefs consistait à ridiculiser et décrédibiliser, non seulement la personne, mais aussi le message. Ici, pas de message attaqué, les soldats ne sont pas des chefs spirituels, pas des théologiens. Mais eux s’attaquent à celui qui mobilisait les foules au risque de troubler l’ordre public (c’est du moins ce qu’ils craignaient). Il s’agit donc de moquer son soi-disant pouvoir, sa prétendue puissance. Alors, au lieu du vin, boisson des riches et des puissants, boisson de la fête et des grandes occasions, on lui offre une boisson vinaigrée : c’est-à-dire un vin frelaté ou abîmé. On pourrait résumer leurs simagrées ainsi : « au vrai roi le vin dans des coupes en or, au faux roi du vinaigre sur une éponge au bout dun bâton ».
Ils ne savent pas jusqu’où va leur moquerie. Ils ne savent pas que Jésus a changé de l’eau en vin pour réjouir toute une noce… Ils ne savent pas que le vin est le symbole des noces et donc de l’alliance. Ils ne comprennent pas qu’un vin ainsi abîmé représentera l’alliance abîmée et rompue, qui aurait dû réjouir le cœur de l’homme mais qui au contraire lui est amer. L’alliance rompue est source de condamnation et de souffrances comme le vin abîmé et source de dégoût et d’écœurement. Ce qui n’est que ridiculisation pour éviter tout rapport de force ou de pouvoir, devient, sans qu’ils le veuillent ou ne le sachent, symbole de cette rupture entre Dieu et l’homme, de cette déchéance de la Création abîmée par le péché de l’homme.

Et Nous ? Nous avons été restaurés dans l’alliance par le baptême, mais ne nous arrive-t-il as de présenter au Seigneur une boisson bien amère ? Pourrions-nous citer une œuvre, un comportement qui adoucit le cœur blessé d’un Dieu rejeté ? et sommes-nous conscients de toutes ces occasions où nous lui offrons plus le vinaigre de vie pécheresse que le vin de nos bonnes actions et de notre amour ?

37 en disant : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » 

Revoici notre refrain. En apparence, c’est la même phrase, mais cette fois-ci ce n’est plus seulement une demande de miracles pour prouver la filiation divine. Il n’y a rien de spirituel dans cette demande. C’est plutôt un défi lancé par les armées de l’empereur à celui qui se prétend roi. Comme s’il disait : « toi qui prétends être quelqu’un qui veut te dresser roi face à l’empereur que nous représentons, sauras-tu manifester ta force ? Nous, c’est par ta condamnation que nous montrons que nous sommes plus forts que toi. » Après le défi au Dieu (par les chefs), c’est le défi au roi par les soldats.

Et nous ? Avons-nos tendance à défier Dieu ? Parfois notre prière n’est pas une humble demande dans la confiance et l’abandon d’enfants qui se savent aimés et comblés, mais plutôt un marchandage, voire un défi ou un ultimatum.
Quand nous disons « si tu me donnes ceci, je ferai cela pour toi… » Ou bien « si Dieu est bon, il fera ceci ou permettra cela » et toutes ces sortes de formules, ne sommes-nous pas en train de mettre Dieu à l’épreuve, de le défier ?
Et comment pourrions nous à notre tour dire à Dieu en Vérité « cependant non pas ma volonté mais la tienne ».

38 Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : « Celui-ci est le roi des Juifs. » 

L’évangile de saint Luc, comme ceux de Matthieu et de Marc se contente de signaler la présence de cet écriteau. Et vu le contexte : moquerie des chefs puis des soldats sur le refrain « si tu es le roi des juifs » … on peut imaginer que l’écriteau, lui aussi, est ironique ou moqueur. Mais c’est surtout ce quand Saint Jean nous dit que nous connaissons :
19 Pilate avait rédigé un écriteau quil fit placer sur la croix ; il était écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. »
20 Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, parce que lendroit où lon avait crucifié Jésus était proche de la ville, et que c’était écrit en hébreu, en latin et en grec.
21 Alors les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate : « N’écris pas : Roi des Juifs” ; mais : Cet homme a dit : Je suis le roi des Juifs. »
22 Pilate répondit : « Ce que jai écrit, je lai écrit. » (Jn 19, 19-22)
L’écriteau dans les trois langues signifie que le message est destiné à tous, la résistance des chefs et la détermination obstinée de Pilate en font presque un acte de foi… en tout cas, un geste militant contre les accusateurs. Ces écriteaux sont sensés indiquer la raison de la condamnation. Ici, Saint Jean nous suggère tout autre chose, comme une reconnaissance de la personne pourtant condamnée. Comme si Pilate avait accepté la condamnation mais pas l’humiliation ou la ridiculisation de Jésus.
Les synoptiques le présentent soit comme une moquerie, soit comme un reproche politique : il est condamné par la justice de l’empereur parce qu’il se prétend roi. Saint Jean nous dit que c’est un moyen pour Pilate de se sentir moins coupable, moins lâche… Mais il semble aussi que la convergence des quatre évangiles montre que la première communauté chrétienne interprète aussi cette inscription comme une prophétie, qui au-delà ou malgré les intentions douteuses, a permis l’expression et la manifestation d’une vérité.

Et nous ? Avons-nous assez de foi dans la providence pour croire que Dieu peut tirer d’un mal, un bien ? Peut-être nous est-il arrivé de découvrir un signe dans une réalité pourtant terrible ou effrayante, comme l’affirmation de la royauté du Christ dans l’inscription moqueuse de la condamnation. Pouvons-nous nous encourager mutuellement ou même chacun personnellement à rechercher, interpréter et accueillir des signes de l’amour ou de la providence de Dieu ?

39 L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait :

Les chefs étaient dans la dérision, les soldats dans la moquerie, le malfaiteur est injurieux. Qu’il s’agisse du pouvoir (les chefs), des exécutants (les soldats) ou de ce compagnon d’infortune, tous semblent contre le Seigneur. L’unité dans une telle diversité est pour le moins surprenante, on peut y voir la convergence du mal : le mauvais, le tentateur est un diviseur, mais dans le péché, dans l’opposition à Dieu ou au Christ, tous se retrouvent. C’est la logique inverse du salut et du bien que nous explique saint Paul :
28 Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. (Rm 8, 28)

Et Nous ? Cela nous arrive-t-il pour nous dédouaner ou nous rassurer de nous rapprocher plutôt de ceux qui font mal, faisant du même coup taire notre conscience ? Ou bien avons-nous suffisamment de confiance et d’abandon dans le Seigneur pour accepter que tout contribue, tout concourt à notre bien, notre salut, notre bonheur, même ce qui nous semble dur ou malheureux à première vue ?

« N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! » 

Lui ne parle pas de « roi », mais de « Christ ». Pourtant le Christ cela signifie « l’oint » et les rois étaient précisément oints pour recevoir la royauté. On parle donc de la même chose et d’ailleurs il y a toujours ce défi lancé : « sauve-toi toi-même » qui fait écho aux paroles des soldats ou des chefs. Tous cherchent à ridiculiser ou à nier les actes du Seigneur, qui a fait tant de signes et de miracles. Bien sûr, pour ce malfaiteur s’ajoute le désir de se voir arraché lui-même au supplice. L’injure est donc à la fois une façon d’abonder dans le sens de tous ceux qui l’entourent et un réflexe égoïste comme « une dernière chance ». L’interrogation n’est ni dans la foi, ni même sans doute contre la foi mais seulement dans une recherche d’intérêts personnels.
Il n’est pas difficile ici de reconnaître aussi la patte du malin car la tentation est du même ordre que la triple tentation au désert lors du début de la vie publique du Christ :
01 Jésus, rempli dEsprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans lEsprit, il fut conduit à travers le désert
02 où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
03 Le diable lui dit alors : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
04 Jésus répondit : « Il est écrit : Lhomme ne vit pas seulement de pain. »
05 Alors le diable lemmena plus haut et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre.
06 Il lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela ma été remis et je le donne à qui je veux.
07 Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. »
08 Jésus lui répondit : « Il est écrit : Cest devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »
09 Puis le diable le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, dici jette-toi en bas ;
10 car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, lordre de te garder ;
11 et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
12 Jésus lui fit cette réponse : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
13 Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusquau moment fixé.
La première tentation, celle des pains et la tentation de l’avoir, du confort et de la facilité par-delà les réalités concrètes. Descendre de la Croix serait mettre la puissance divine au service de son bien-être et de son confort, indépendamment du projet de Dieu. Nous avons déjà dit que la réponse est formulée dans la prière de l’agonie : « non pas comme je veux mais comme tu veux ».
La deuxième tentation, celle de la gloire et du pouvoir, suppose d’obéir et de se prosterner devant le diable. En demandant à Jésus d’obéir à sa requête, et de le sauver en même temps que lui-même, le malfaiteur invite Jésus à obtenir gloire et puissance. En faisant la volonté d’un bandit notoire, les chefs disent d’ailleurs qu’alors ils croiront, bref, ce sera pour Jésus son heure de gloire.
Mais le plus évident c’est la troisième tentation qui consiste à défier Dieu de sauver son messie, de sorte que Dieu est mis à l’épreuve et que ce n’est plus un homme au service de Dieu mais Dieu au service de l’homme. Après l’avoir et la gloire, voici le pouvoir et l’orgueil. Descendre de la Croix devant tous manifesterait une puissance supérieure à celle de l’empereur ou de ces soldats. Cela obligerait l’assistance non pas à croire mais à révérer et craindre le Seigneur, flattant ainsi son orgueil et sa superbe.
Pour résumer :
« Sauve-toi »  =         tentation du confort et avoir
« Toi-même »             =         tentation de la gloire et du pouvoir
« Toi-même et nous avec »    =         tentation du pouvoir et de l’orgueil.

Et nous ? Nous arrive-t-il de perdre espoir au point de préférer la haine ou l’insulte à la recherche de la vérité et à la compassion ?
Et parmi toutes ces tentations parfois si subtiles, laquelle est la plus dangereuse pour nous ? Dans laquelle tomberions-nous le plus facilement, de laquelle devons-nous nous méfier ?ier le plus ?

40 Mais l’autre lui fit de vifs reproches : « Tu ne crains donc pas Dieu !

La construction de ces versets : « l’un » puis « l’autre » comme une opposition irréconciliable, les injures pour l’un, les vifs reproches pour l’autre montrant la volonté d’abîmer pour le premier, et la volonté de réformer et de redresser pour l’autre ; la nomination du Christ pour le mauvais et de Dieu pour le bon… Tout est fait pour nous montrer qu’il y a un choix à faire, qu’il n’y a pas de moyen terme, on est pour ou contre le Seigneur !
Et ce qui fait la différence c’est la crainte de Dieu.
Une fois de plus il faut rappeler que nos parlons ici non pas de peur mais de crainte. C’est un des dons du saint Esprit. On l’appelle la crainte filliale, celle qui est à la fois conscience de notre dépendance du Père : nous sommes si petits que sans lui nous ne pouvons rien espérer ; confiance dans sa miséricorde : Il ne tiendra pas compte de notre péché ; et espérance dans sa sollicitude : il nous comblera de ses bienfaits.
La prière qu’il adressera aux versets suivants montre bien qu’il n’a pas peur de Jésus ou de son jugement mais qu’il connaît son péché, croit en la miséricorde et espère la vie éternelle.

Et nous ? Avons-nous cette sainte crainte du Seigneur ? Comment se manifeste-t-elle dans nos vies ? Sommes-nous capables de la faire partager ?

Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! 41 Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons.

Voici le premier élément de la conversion, manifestation de la crainte de Dieu. Il reconnaît son péché, son crime, sa faute. Nous ne savons pas ce qu’il a fait mais lui le sait et le reconnaît et même il l’assume. Il sous-entend ainsi qu’il n’a pas craint les hommes et leur justice, ceux qui s’opposent bien sûr à sa crainte de Dieu. Il n’a pas peur (des hommes ou de la mort) mais il craint (Dieu).

Et nous ? Pour pouvoir nous convertir, pouvons-nous faire notre examen de conscience ? Il ne s’agit pas de se dévaloriser, de se culpabiliser ou quoi que ce soit de ce genre. Il s’agit de se mettre en vérité devant soi-même et devant Dieu car la vérité est une condition de l’amour véritable. Comment connaîtrions-nous la miséricorde de Dieu si nous ne savons pas ce qu’Il nous a pardonné ? Comment connaîtrions-nous la bonté de Dieu et tout ce qu’il a fait pour nous si nous ne connaissions-pas notre misère et notre indigence… ?

Mais lui, il n’a rien fait de mal. » 

Seconde étape de la conversion, la foi. En reconnaissant le Christ pour ce qu’il est : le pur, le parfait, il le découvre Dieu, seul saint, il l’aime tel qu’il est. Connaître Dieu dans le sens d’une adhésion totale à sa personne est non seulement dans le sens d’une vision plus ou moins vague ou floue de ce qu’il est, c’est cela la foi.

Et nous ? Avons-nous la foi ? Avons-nous rencontré personnellement le Seigneur ? Le connaissons-nous et l’aimons-nous ?

42 Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » 

Troisième étape, la prière confiante, l’Espérance et l’amour. Quand on se sait petit mais qu’on connaît Dieu, son amour, sa bonté, sa miséricorde, on peut lui faire confiance et lui demander ce qui est bon pour nous. C’est ce que fait cet homme et il ne doute pas que Dieu lui répondra (Espérance). Notez qu’il ne demande rien pour lui si ce n’est d’être présent à l’Esprit du Seigneur. Il a compris que « Dieu seul suffit ». Ce qu’il veut, ce n’est pas quelque chose, c’est quelqu’un. Il n’espère pas tant les bienfaits de Dieu que Dieu lui-même (Amour = charité).
Cette prière « souviens-toi » n’est pas seulement une expression personnelle et spontanée, elle est l’appropriation de la prière du peuple de Dieu. On trouve en effet dans le livre des psaumes :
04 Souviens-toi de moi, Seigneur, dans ta bienveillance pour ton peuple ; toi qui le sauves, visite-moi (ps 105, 4)
Et
01 Souviens-toi, Seigneur, de David et de sa grande soumission (ps 131, 1)
Ou encore dans le Deutéronome, voici la prière de Moïse :
27 Souviens-toi de tes serviteurs, Abraham, Isaac et Jacob ; ne regarde pas lendurcissement de ce peuple, ni sa méchanceté, ni son péché. (Dt 9, 27)
Et Samson :
28 Il invoqua le Seigneur en disant : « Je ten prie, Seigneur Dieu, souviens-toi de moi, rends-moi ma force encore une fois et que, dun seul coup, je me venge des Philistins pour mes deux yeux. » (Jg 16, 28)
Et les exemples pourraient ainsi être multipliés A chaque fois, il s’agit de mettre en valeur la grandeur de Dieu et l’absolue nécessité dans laquelle se trouve le priant. Cela fait appel à la compassion, à la miséricorde de Dieu dont l’homme pécheur s’est séparée, mais que le Seigneur n’abandonnera pas, n’oubliera pas.
Et enfin, le malfaiteur parle du Royaume. Il rétablit ainsi la vérité face aux chefs, aux soldats et à son compagnon de supplices qui se moquaient du roi des juifs. Lui, c’est avec révérence et espérance qu’il appelle Jésus « roi ».

Et nous ? Avons-nous l’Espérance et la charité ? Cherchons-nous par tous nos actes à répondre amoureusement à l’Amour de Dieu ? vivons-nous dès-aujourd’hui en hommes qui ont tout reçu et recevront tout de Dieu ?

43 Jésus lui déclara : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »

Si Jésus n’a rien répondu aux chefs du peuple car il n’est pas un polémiste, si Jésus n’a rien répondu aux soldats car il n’est pas un lutteur ou un politicien, s’il n’a rien répondu aux mauvais larrons car il n’est pas un amuseur ou un distributeur de miracles, il s’empresse de répondre au bon larron car il est un Dieu d’amour qui ne laisse pas passer l’amour des hommes.
Celui-ci a montré sa foi, Jésus répond sur ce ton : « amen, je te le dis »
Celui-ci a demandé Dieu et rien d’autre car il l’aime, Jésus répond à cela aussi « tu seras avec moi »
Celui-ci a manifesté son espérance, Jésus vient la combler « tu seras dans le paradis »
Par cette réponse, Jésus s’adapte à cet homme et va bien au-delà de ce qu’il pouvait attendre. Même bafoué et humilié, crucifié, il se montre plus puissant et plus maître du monde, de la vie et de la destinée des hommes que qui que ce soit : il est roi de nos vies, de ce monde, de l’univers !

Et nous ? Sommes-nous dans l’attente joyeuse et confiante de la réponse de Dieu à notre prière ? L’avons-nous faite dans la foi, l’Espérance et la Charité pour que la réponse nous comble de la présence amoureuse et bienfaisante de notre Sauveur ?

En guise de conclusion :
La Sainte Eglise et sa liturgie nous offrent donc pour cette fête du Christ-Roi un texte où il est fait allusion à la royauté du Christ, un peu à tout instant. Pourtant, c’est presque toujours avec ironie et mauvaise volonté. C’est lorsque le Christ est apparemment le plus faible, le plus vulnérable, que ces ennemis se moquent le plus cruellement de lui que nous sommes invités à contempler le plus sa gloire, sa royauté véritable. Le paradoxe est digne du message évangélique qui inverse presque toute nos valeurs : Dieu se fait serviteur, l’infini se fait petit, le tout-puissant épouse notre faiblesse. C’est par la mort qu’il nous donne la vie, par ses souffrances qu’il manifeste son amour, par sa mort qu’il obtient la victoire de sa gloire.
Il suffit d’une simple parole d’un malfaiteur pour donner sens à ce que les chefs des prêtres n’ont pas vu, ce que les apôtres n’ont pas compris, ce qu’aucun docteur de la loi n’avaient envisagé.
La véritable royauté de Jésus n’est pas de ce monde, elle est sur ce monde. Il n’est pas un Roi dans l’univers ; il n’est pas le Roi qui occuperait l’univers ; il est le Roi qui domine tout l’univers et bien plus encore, qui le surpasse mais ne l’oublie pas, en prend soin et le mène vers un monde nouveau, une création nouvelle.
Le bon larron lui dit : « quand tu viendras dans ton royaume « : il y vient par sa victoire pascale, mort et résurrection qui défont le péché, le diable et le mal sous toutes ses formes ; il y vient dans sa gloire à la fin des temps pour la nouvelle Création ; il y vient quand nous lui ouvrons nos cœurs pour qu’il en prenne le contrôle, en fasse sa demeure et son royaume. Cette triple venue, triple avènement montre celui que nous attendons et évoquons durant tout le temps de l’avent qui se profile… Le Christ-Roi est déjà là dans le petit enfant de la crèche et c’est Lui qui donne sens à l’adoration des anges, des bergers et des mages… La fête du Christ-Roi qui conclut l’année annonce ou éclaire déjà la suivante : le temps n’est là que pour nous introduire à l’éternité.