Évangile du 12 février

Lectio divina du dimanche 12 février 2023 : 6e ordinaire (A)

Evangile de Jésus Christ selon st Matthieu (Mt 5, 17-37)

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : 17 « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.
18 Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise.
19 Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré le plus petit dans le royaume des Cieux. Mais celui qui les observera et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le royaume des Cieux.
20 Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux.
21 « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il devra passer en jugement.
22 Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal. Si quelqu’un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu.
23 Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande.
25 Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison.
26 Amen, je te le dis : tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou.
27 Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère.
28 Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur.
29 Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi, car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres que d’avoir ton corps tout entier jeté dans la géhenne.
30 Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi, car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres que d’avoir ton corps tout entier qui s’en aille dans la géhenne.
31 Il a été dit également : Si quelqu’un renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de répudiation.
32 Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d’union illégitime, la pousse à l’adultère ; et si quelqu’un épouse une femme renvoyée, il est adultère.
33 Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne manqueras pas à tes serments, mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur.
34 Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu,
35 ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Ville du grand Roi.
36 Et ne jure pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir.
37 Que votre parole soit “oui”, si c’est “oui”, “non”, si c’est “non”. Ce qui est en plus vient du Mauvais.

  • Réflexion ligne à ligne pour aider et guider la lectio divina

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : 17 « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes :

Nous continuons la lecture du discours sur la montagne. Il y a d’abord eu l’entame solennelle avec les Béatitudes. Elles sont comme une introduction à tout le ministère public de Jésus et tout l’Evangile y est proposé et annoncé. Elles tournent d’emblée l’auditeur vers l’objectif : le royaume et le ciel promis à chaque béatitude, en en donnant le sens et la raison : le bonheur véritable qui commence par le combat spirituel sur cette terre, déjà empreint de joie et puis la béatitude éternelle.
Venait ensuite la description des personnes en présence : «  vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde » et la façon dont la mission doit transcender les personnes :
Alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. (Mt 5, 16)
Voici maintenant que le Seigneur précise qui Il est et ce qu’est sa Parole, ce discours qu’Il fait. Pour cela, il écarte une mauvaise compréhension : Il n’est pas celui qui viendra sonner le terme du règne de la loi ! Il n’est pas celui qui rendra inutile la voix des prophètes.
Certains auditeurs : ses contemporains ou nous ses disciples, pourraient en effet se fourvoyer. Le Christ a choisi de venir et d’appartenir au peuple de la loi.
Plus tôt dans l’évangile, il explique pourquoi il est venu :
« Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. » (Mc 1, 38)
D’abord il est « sorti », sorti d’auprès du Père, sorti du Ciel… Il est « venu », ce qui signifie qu’il était ailleurs avant d’être là. C’est ce que nous explique bien Saint Paul :
09 Que veut dire : Il est monté ? – Cela veut dire qu’il était d’abord descendu dans les régions inférieures de la terre.
10 Et celui qui était descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux pour remplir l’univers. (Eph 4, 9-10)
Ensuite, c’est pour proclamer un Evangile, une Bonne Nouvelle. Il ne s’agit donc pas de loi, ni sûrement de détruire ou d’abroger. Il s’agit d’une annonce qui est Parole et acte, actualisation d’un message de joie et de paix pour tous.
Celui donc qui attend une telle action se trompe.
Quant au mot « abolir » en grec, il est le même qui est utilisé dans l’oracle de Jésus :
« Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » (Jn 2, 19)
Autrement dit, certains pensent que la loi n’est plus qu’une ruine ne pouvant ne servir à rien et que Jésus est venu pour cela, il n’en est rien. Nous sommes toujours d’une certaine façon sous le regard de la loi et des prophètes, ce que Jésus est venu faire, c’est transformer le rapport, pas le supprimer.

Et nous ? Sommes-nous capables de voir dans le Premier Testament, dans « la loi et les prophètes », une partie intégrante de la Bonne Nouvelle Du Christ ?
Nous avons déjà eu souvent l’occasion de le dire : le Premier Testament annonce le Nouveau et le préfigure, de telle sorte que par ces esquisses nous soyons mieux aptes à en comprendre le sens et la portée, et le Nouveau Testament en donne le sens définitif et total, révélé par le Christ lui-même, mais nous faisons-nous l’effort d’aller puiser dans le Premier les éléments qui nourriront notre compréhension du Nouveau Testament et de retourner du Nouveau vers le Premier Testament pour en découvrir les richesses cachées ?

je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.

Jésus reprend le verbe « abolir », qui sous-entend détruire et rendre inutile ou inutilisable. Mais il l’oppose au verbe « accomplir » qui ne signifie pas seulement « mettre en œuvre » mais plutôt et surtout « porter à son achèvement, à sa perfection ». C’est le même sens que dans les affirmations : «  c’est un artiste accompli, c’est un sportif accompli ». Les personnes ainsi désignée ne sont pas seulement celle qui pratique leur art ou leur sport, mais celle qui ont porté celui-ci au meilleur de ce qu’un homme peut faire. Et s’il n’y a pas de perfection en l’homme, il y a au moins la possibilité de faire de son mieux, le mieux possible. C’est ainsi que Jésus accomplit la loi ; il la vit de la plus belle des manières qui soient, mais comme Lui est le Fils de Dieu, il atteint la perfection. Jésus prend la loi, l’incarne et la vit de manière si parfaite qu’Il la transforme de l’intérieur pour que restant parfaitement elle-même, elle soit pourtant en même temps toute autre, il l’accomplit.

Et Nous ? Sommes-nous prêts à vivre cette loi non dans la perfection de Jésus mais dans l’imitation de celui dont nous sommes les frères et les héritiers, les disciples et les membres de son corps ? S’il ne saurait s’agir pour nous de perfection puisque nous ne sommes pas Dieu, il s’agit du moins d’en percevoir la perfection en Jésus pour rechercher cela et nous en approcher, autant que nos propres forces et faiblesses nous le permettent avec la grâce de Dieu.

18 Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi

Voici que Jésus nous affirme deux choses qui ne sont pas contradictoire mais qui sont fondamentales pour notre foi en une seule phrase. Tout d’abord, il nous affirme que le ciel et la terre disparaîtront. Ensuite, il nous rappelle que la loi est immuable.
1- Le ciel et la terre disparaîtront. Cela replace le monde dans une perspective juste : celui d’une Création, œuvre de Dieu et donc différente de Lui. Malgré ce que peut nous sembler parfois, le monde n’est pas Dieu, Dieu seul est éternel. Ce monde est donc changeant, éphémère et voué à disparaître. Nous ne devons donc pas chercher notre salut, le sens de notre vie ou même le fondement de la loi, du bien ou du bon dans ce monde qui passe. Notre seul avenir, le sens vrai de notre vie est en Dieu.
2- La loi ne disparaîtra pas. Cela signifie que la loi est divine. Elle n’est pas la sagesse d’un homme ou d’un peuple, elle n’est pas non plus un ensemble de règles que se sont données des personnes pour vivre ensemble. Elle n’est même pas seulement une parole prononcée ou donnée par Dieu à des hommes d’un moment ou d’un lieu pour les aider comme pouvaient l’être les oracles des Pities ou des mages païens, mais elle est Parole de Dieu, pour tous et pour toujours.
A cause de cela, elle possède une certaine infinité qui fait que chaque trait, chaque lettre possède une dignité et utilité incontournable.

Et nous ? Sommes-nous conscients de la beauté et de la grandeur de cette Parole de Dieu : la loi et les prophètes. Ne passons-nous pas, parfois avec inquiétude, parfois avec indifférence, parfois avec dédain auprès de ce trésor infini et divin qui nous est offert ? Comment pourrions-nous nous donner les moyens de mieux y pénétrer ?

jusqu’à ce que tout se réalise.

Encore une fois, il y a une idée d’accomplissement. Tout devra se réaliser. On pourrait comprendre aisément s’il ne s’agissait que des prophètes ; tout ce qu’ils ont promis doit se réaliser. C’est d’ailleurs bien ce que le Seigneur est venu faire sur la terre de telle sorte que dix fois explicitement, saint Matthieu précise « cela est arrivée pour que s’accomplisse la prophétie …). Mais quand on parle de la loi, que signifie réaliser une loi ? Si on parle seulement de règles humaines, une loi est appliquée, mise en œuvre, pas réalisée ! Mais s’il s’agit de la Parole de Dieu qui réforme le monde et transforme les cœurs ; alors il peut bien y avoir une réalisation : la pleine sanctification de tout le genre humain, la communion parfaite entre le Créateur et ses créatures. Notez que le monde, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’aura alors plus aucun intérêt, « le ciel et la terre disparaîtront » donc mais cela au profit d’autre chose, la loi réalisée dans le cœur de tous et la communion qui nous fait entrer dans la vie de Dieu même. C’est pour cela que nous ne devenons pas immortels (comme si la vie continuait toujours) mais éternels car nous entrons dans une vie qui nous précède depuis toujours et nous portera pour toujours, la vie de Dieu, l’Eternel.

Et nous ? Trouvons-nous notre joie dans cette Espérance ? Avons-nous le désir de vivre un tel accomplissement ? Que faisons-nous pour qu’une telle réalisation nous arrive ? Nous en avons déjà parlé abondamment. Il existe, schématiquement, cinq moyens pour qu’adviennent en nous cette vie éternelle, appelée parfois les cinq moyens du salut :
– L’Eglise, qui est le corps du Christ, elle nous permet d’être membres de ce corps et donc d’être vivifiés par la tête qui est le Christ et par l’âme qui est l’Esprit Saint
– La Parole de Dieu, qui résonne dans nos cœurs par ce qu’on appelle la conscience et dans nos oreilles par les saintes Ecritures proclamées dans l’Eglise (et dans les églises)
– La prière qui est ce contact intime et personnel avec « celui qui voit ce que nous faisons dans le secret» (cf Mt 6, 4, 6, 18) qu’elle soit vécue individuellement ou en Eglise.
– Les sacrements qui sont l’œuvre de Dieu en nous par sa grâce et par l’intercession du Christ et de toute l’Eglise.
– Le service des frères dans lesquels nous reconnaissons l’image et le fils de Dieu. Jésus lui-même nous a dit :
Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. (Mt 25, 40)

19 Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi,

Voici que Jésus nous place devant nos responsabilités : il y a une responsabilité personnelle quand on refuse d’obéir à un commandement quel qu’il soit. Il y a une responsabilité communautaire quand on enseigne à faire ainsi. Et ne nous y trompons pas : enseigner, ce n’est pas seulement professer et affirmer par la parole notre rejet. On enseigne aussi par nos actes et nos comportements, par la cohérence de nos vies et de manière implicite mais bien réelle par toute notre vie. (N’est-ce pas le sens de la phrase déjà rappelée plus haut
alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. (Mt 5, 16)
L’opposée est malheureusement vraie : voyant ce que nous faisons de mal, ils transgresseront à leur tour et pécheront devant le Seigneur !
Enfin, écoutons attentivement : il s’agit même du plus petit commandement. Cela nous montre qu’en fait, il n’y a pas de petits commandements, du moins pas de notre point de vue. Le Seigneur peut bien parler de petit commandement car il sait, lui, ce qui produira plus ou moins abondamment, rapidement ou efficacement la communion recherchée. Mais nous, nous devons réaliser que chacun de ces commandements vient de Dieu et nous amène à Lui. Pour cela, il est grand, bien plus grand que nous. Nous ne pouvons donc, sous peine de refuser le Seigneur lui-même, nous passer d’aucun des commandements.

Et nous ? Sommes-nous de ceux qui se résignent à certaines transgressions, à certains péchés ? En confession, nous entendons souvent parler de ces petits péchés, ou péchés habituels, communs, inévitables… Presque comme si c’était une évidence et que cela ne comptait pas ! Ne nous y trompons pas, chaque péché est une offense à Dieu infini et donc à quelque chose d’infini en lui. Le propre des saints n’est pas de ne pas faire de péchés, personne n’est parfait, mais de ne jamais se résigner à aucun péché et de les considérer pour ce qu’ils sont : une catastrophe, spirituelle, un drame personnel et une urgence à se convertir. Voilà pourquoi Saint Paul, lui-même, se désigne comme un avorton et le Saint Pape Jean Paul II se désignait jusqu’à la fin comme un grand pécheur. Voilà pourquoi Saint Martin au jour de sa mort a un cri de joie ; « je ne pécherai plus ».
Quant à nous, nous péchons encore mais nous pouvons nous battre, nous convertir et le plus souvent possible confesser notre péché pour en obtenir l’absolution.

sera déclaré le plus petit dans le royaume des Cieux.

Après avoir déclaré notre responsabilité, Jésus nous en désigne les conséquences. Attention, « le plus petit » quand il s’agit de prétention ou d’ambition pourrait être une qualité, signe d’humilité et d’abandon nécessaire pour le Salut. Ainsi le Seigneur déclare-t-il :
« Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent.
15 Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » (Mc 10, 14)
Mais ici, il ne s’agit pas d’être petit mais d’être déclaré comme tel. Il n’est pas question de celui qui se fait humble devant la grandeur de Dieu mais de celui que la grandeur de Dieu juge trop petit. Le Seigneur a une grande miséricorde pour l’homme et ne rejette pas celui-ci à cause de sa nature de créature pauvre et petite. Mais il juge le cœur de l’homme, sa charité l’ouvre et le fait grandir au point d’y accueillir ses frères et même Dieu son Père, mais celui qui veut gonfler son cœur d’orgueil, celui qui se croit puissant ou superbe, celui-là n’arrive qu’à comprimer son cœur, qui désormais est trop petit pour accueillir qui que ce soit. Mais on entre pas seul dans le royaume des cieux, il faut avoir le Seigneur au cœur et tous ces frères pour y trouver sa place. Petit par ses prétentions mais grand par son cœur, voilà ce que le Seigneur attend de nous.

Et nous ? Quelle est notre humilité ? Et surtout à qui notre cœur est-il ouvert ? Pouvons-nous honnêtement et sans fausse humilité dire comment nous ouvrons notre cœur à Dieu ? Pouvons-nous contempler nos frères et voir ceux qui sont vraiment dans notre cœur ? Peut-être devrons-nous aussi voir ceux que nous refusons d’y accueillir pour mieux nous convertir… Commençons par nous obliger à voir ce qu’il y a d’aimable et de beau en eux, pour pouvoir ainsi changer notre regard et désirer les abriter dans notre cœurs (c’est là le chemin du pardon et de l’amour des ennemis).

Mais celui qui les observera et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le royaume des Cieux.

Le Seigneur Jésus lui-même déclare :
37 Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.
38 Voilà le grand, le premier commandement.
39 Et le second lui est semblable : Et nous ? Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
40 De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » (Mt 23, 37-40)
Toute la loi est donc une question d’amour. Celui qui observe la loi, aime… Son cœur est grand ouvert… Il sera déclaré grand ! Bien sûr, en comparaison avec Dieu, toute créature est petite, ridiculement petite, mais aux yeux de Dieu, celui qui aime devient grand car il est à son image, à sa ressemblance. C’est pourquoi, il dit non pas qu’il est grand mais qu’il sera déclaré grand car ce n’est pas une question de taille, mais de reconnaissance par Dieu.

Et nous ? Comment serait déclaré notre cœur si Dieu nous jugeait aujourd’hui ? Où en sommes-nous de l’amour de Dieu, de l’amour du prochain, de l’amour de nous -mêmes ?

20 Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux.

Quelle est la justice des pharisiens ? Celle de la loi ! Ils observent à la lettre la loi… n’est-ce pas ce que Jésus vient de demander : « celui qui les observera… ». Mais alors comment peut-on dépasser cela ? Et pourquoi cela ne suffirait-il pas à entrer dans le royaume où nous serons déclarés grands si nous observons ?
Jésus est venu accomplir la loi, autrement dit il est venu la mener à sa perfection. Cela signifie qu’elle ne l’était pas encore. Les pharisiens observent donc une loi imparfaite. Elle ne l’est pas en elle-même puisqu’elle vient de Dieu, qui fait tout parfaitement. Elle l’est en tant qu’adressée et observée par des hommes imparfaits. Autrement dit, même le plus fidèle observateur de la loi, parce qu’il est pécheur, est loin de la perfection que le Christ, parce qu’il est saint, va lui donner.
Cela nous montre une chose capitale : observer la loi comme le Christ nous y invite, ce n’est pas tant multiplier les pratiques matérielles ou temporelles, mais c’est apprendre par ces pratiques à aimer Dieu et son prochain comme soi-même. Ainsi Jésus déclare :
37 Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.
38 Voilà le grand, le premier commandement.
39 Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
40 De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » (Mt 23, 23)
Surpasser la justice des pharisiens, ce n’est donc pas changer de loi, ce n’est pas non plus observer les commandements mais c’est les regarder et les comprendre, les vivre autrement, les vivre non comme un fardeau qui pèse :
28 « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. (Mt 11, 28)
non comme une règle qui contraint, mais bien comme une source d’amour à laquelle on se désaltère,
« Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » (Jn 4, 10)
une occasion d’aimer qui nous est donnée, une leçon pour toujours mieux aimer.

Et nous ? Comment essayons-nous d’aimer : simplement en supportant avec patience, par pur devoir ? C’est déjà beau, mais si nous savons y mettre le cœur, alors tout changera car notre patience est limitée, notre sens du devoir est faible mais notre amour, aussi faible qu’il soit, rencontre l’amour de Dieu qui est miséricorde, comme le montre bien l’épisode de la rencontre de Jésus avec la pécheresse en pleurs qui dit à son propos :
ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour.  (Lc 7, 47)

21 « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il devra passer en jugement.

En disant cela, Jésus ne cherche rien d’autre qu’à replacer ce qu’il dit dans un contexte : il y a une tradition très vivante en Israël, une tradition qui fait que la Parole a été adressée aux anciens, aux ancêtres, et que chacun a appris ce qui leur a été dit de sorte que cela reste la règle aujourd’hui. On ne laisse pas se perdre la Parole de Dieu, au contraire on en vit et on l’enseigne.
Voici que le premier élément de tradition dont nous parle Jésus, c’est le commandement :
13 Tu ne commettras pas de meurtre. (Ex 20, 13 : Dt 5, 17)

Et nous ? Connaissons-nous la Tradition chrétienne, faite des Ecritures saintes mais aussi de l’enseignement des pasteurs (papes, évêques…) et des saints ? Cherchons-nous à en vivre et à la transmettre ? Comment ?
Et sommes-nous capables de nous référer aux dix commandements pour faire la volonté de Dieu ?

22 Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement.

Après avoir invoqué la tradition, Jésus semble en rupture : « il a été dit… et bien moi je vous dis » mais en fait, il n’enlève rien à la tradition, il lui rajoute quelque chose. C’est toute violence contre un frère (le meurtre compris mais pas seulement le meurtre qui doit être passible de jugement). Encore une fois, le Seigneur n’abolit rien mais il accomplit. La perfection de la loi n’est pas seulement de se garder du meurtre, mais c’est de refuser toute violence, colère et emportement contre son frère. Pourquoi ? Parce que la perfection de la loi est dans l’amour et que l’amour n’est pas seulement respect de la vie mais choix de la vie, de la commune, de la communion entre vivants, entre frères.

Et nous ? Comment notre amour nous pousse-t-il à dépasser le strict nécessaire, l’indispensable pour décider, choisir de faire ce qui est bien au-delà de toute règle ou obligation ? Pensons à ceux que nous aimons, comment le leur montrons-nous ? Pensons aux autres, ceux que nous n’aimons pas assez, comment pourrions-nous agir avec eux comme avec ceux que nous aimons ?

Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal. Si quelqu’un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu.

Après avoir dépassé le meurtre pour la violence et la colère, Jésus étend encore cette conception de l’amour (ou du manque d’amour) au-delà des actes aux paroles. Voici qui nous fait penser aux « je confesse à Dieu » que nous disons au rite pénitentiel du début de la messe : « j’ai péché en pensées, en Parole, par action et par omission ». Dans cette prière, l’action est évoquée après les paroles et les pensées car il faut d’abord une intention pour faire un acte, intention (pensée) qui peut (ou pas) se traduire par des paroles ou par des actes et même par des omissions coupables (refus d’agir, négligence).
Notez que la géhenne est une vallée au sud de Jérusalem où d’abord ont eu lieu des sacrifices humains à cause de la connivence avec des païens :
30 Oui – oracle du Seigneur –, les fils de Juda ont fait ce qui est mal à mes yeux. Dans la Maison sur laquelle mon nom est invoqué, ils ont installé leurs horreurs pour la souiller.
31 Ils ont édifié les lieux sacrés du Tofeth au Val-de-la-Géhenne pour consumer par le feu leurs fils et leurs filles ; cela, je ne l’avais pas ordonné, cela n’était pas venu à mon esprit !
32 C’est pourquoi, voici venir des jours – oracle du Seigneur –, où l’on ne dira plus « le Tofeth » ni « le Val-de-la-Géhenne », mais « le Val-du-Massacre ». (Jr 7, 30-32)
Maudite, elle devint le lieu d’incinération des ordures de sorte que le feu y brûlait toujours. Ce fut comme une image du feu éternel, et géhenne devint un synonyme d’enfer. La condamnation pour les insultes n’est donc pas une petite condamnation. Le péché de manque d’amour pour son frère rend passible de l’enfer. Celui qui n’aime pas son frère ne peut goûter non plus à l’amour de Dieu. Nous voyons que les deux commandements évoqués plus haut sont bien un seul.

Et nous, Sommes-nous bien conscients de notre responsabilité. Peut-être trouvons-nous Jésus trop radical, pourtant saint Jean nous tient le même raisonnement d’une manière peut être plus compréhensible :
20 Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu », alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas.
21 Et voici le commandement que nous tenons de lui : celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère. (1 Jn 4, 20-21)
Il n’y a pas là de radicalité ou d’extrémisme mais du simple bon sens. Nous cherchons parfois à nous cacher cette vérité car nous avons du mal à pardonner, à aimer, mais plutôt que de se cacher ainsi, peut-être serait-il temps de recevoir le commandement et d’aimer nos frères en vérité. Et si cela nous semble trop dur et impossible, il nous reste deux choses à faire malgré tout : désirer aimer celui que l’on n’aime pas encore et demander à Dieu son aide.

23 Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,

Voici que Jésus introduit quelque chose de nouveau : il parle d’offrande et d’autel. Cela replace donc ses précédentes déclarations dans un contexte bien précis. Ou plutôt cela confirme ce que nous venons de dire : il y a un lien intrinsèque entre l’amour de Dieu et celui du frère. Il est donc vain de prétendre offrir quoi que ce soit au Seigneur, signe de notre amour pour lui, si nous ne sommes pas au moins en paix et si possible réconciliés avec nos frères.
Sans doute un certain nombre des auditeurs avaient pris l’habitude de sacrifier au Seigneur, non pas tant pour lui montrer leur amour et pour s’unir à lui dans une véritable communion, que pour obtenir ses bonnes grâces et se défausser à bon compte de son péché. La logique de ces sacrifices était donc plutôt celle du marchandage et de la peur, quand le sacrifice véritable doit être don et amour.

Et nous ? Aujourd’hui, le sacrifice pour nous revêt des aspects différents : le sacrifice de la messe tout d’abord et ensuite tous ces sacrifices personnels petits ou grand qui relèvent surtout du jeûne et de la mortification ainsi que du partage. Mais pouvons-nous nous demander pourquoi nous les vivons ? Allons-nous à la messe par obligation ou pour une rencontre d’amour avec le Seigneur ? En quoi la célébration de la messe fait-elle grandir mon amour pour Dieu ? Est-ce que je jeûne ou me mortifie, et pourquoi ? Est-ce une recherche de performance, une pratique de santé ? Une habitude ? Ou un moyen de montrer à Dieu que Lui seul me suffit, m’est nécessaire ? En quoi les mortifications me rapprochent-t-elles de mon Dieu ? Est-ce que je donne avec joie ou sous la contrainte ? Suis-je comme la pauvre veuve capable de donner même ce qui m’est nécessaire ou comme le riche de la parabole, suis-je incapable de voir le pauvre à ma porte, quel que soit son type de pauvreté ?

24 laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande.

Notez bien que l’offrande est toujours nécessaire. Elle est pourtant seconde dans le temps. Il faut commencer par la réconciliation avec le frère. Jésus n’affirme nullement que l’amour du frère soit plus important que l’amour de Dieu. Au contraire, quand il donne le premier commandement, il cite l’amour de Dieu, l’amour du frère n’est que le second qui est semblable au premier. Mais saint Jean nous a bien montré que dans la vie quotidienne, pour un être de chair et de sang, la proximité physique entraine la primauté dans le temps. On commence par ce que l’on voit avant ce que l’on ne voit pas. De même, il faut commencer par offrir ses blessures, déceptions et difficultés avec nos frères, offrir notre pardon donné et demandé, avant de nous tourner vers le Dieu tout puissant.

Et nous, parfois, souvent, nous avons besoin de la grâce de Dieu pour avoir la force de pardonner et de nous réconcilier. Pourtant, c’est bien d’abord vers nos frères que Dieu nous envoie. Cela ne nous dispense en aucun cas de nous tourner vers lui, mais nous ne montrerons au Père notre amour que si nous aimons ses enfants !

25 Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui,

Et pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, Jésus passe du « frère » à « l’adversaire ». Il ne s’agit pas seulement d’aimer ceux qui nous aiment mais d’aimer tout le monde. Nous sommes-ici très proche de la demande :
Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent,
45 afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
(Mt 5, 44-45)

Et nous ? Avons-nous tendance à faire le tri dans nos fréquentations, pour voir qui nous aimons et qui nous n’aimons pas ? Comment essayons-nous de témoigner respect, affection, amitié ou amour à tous ceux que le Seigneur met sur notre chemin ?

pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison.

Voici que Jésus nous met devant une situation bien inconfortable : il considère que c’est notre adversaire qui sera dans son droit, qui obtiendra justice à nos dépens. Il nous invite ainsi à ne pas nous retrancher derrière notre bonne foi ou notre justice supposée. Il nous fait surtout comprendre que notre seule vraie justice est de nous entendre avec tous, y compris avec nos adversaires. C’est bien le sens des versets qui suivent le commandement de l’amour de l’ennemi et qui l’expliquent :
46 En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
47 Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
48 Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. (Mt 5, 46-48)
Notre seul spécificité, à nous les disciples du Christ, c’est d’aimer inconditionnellement tous les hommes. Si nous n’avons pas cela, nous ne servons rien, nous n’avons plus d’intérêt. Nous sommes comme le sel qui se serait affadi et qu’on jette comme inutile.

Et nous ? Quelle est notre justice ? Voulons-nous avoir raison contre les autres ou voulons-nous aimer les autres et les amener à l’amour pour pouvoir ensemble chercher ce qui est vraiment juste : la volonté de Dieu. Auxquels de nos droits sommes-nous prêts à renoncer pour l’amour du frère, pour l’amour de Dieu ?

26 Amen, je te le dis : tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou.

L’expression « Amen je te le dis » est une expression fréquente dans la bouche du Seigneur. Le mot « amen » a pour racine le sens du rocher, de ce qui est fort et stable. C’est pourquoi, nous le traduisons souvent par « je crois » car pour un disciple du Christ, rien n’est plus fort et stable que son lien avec Dieu, la foi et le point d’ancrage de sa vie. Le Seigneur, lui, vient appuyer son propos par ce mot. Je te le dis et c’est une chose assurée, ferme, incontournable. Il a appuyé la tradition sur « ce qui a été dit aux anciens », il appuie maintenant sa parole sur le roc, sur ce qui est ferme sur la foi.
Et voici que maintenant, il nous renvoie à la justice : jusqu’au dernier sou, nous n’aurons pas de passe-droit ou de favoritisme. Celui qui n’aime pas ne peut espérer de clémence de qui que ce soit. La logique du Seigneur est donc celle-ci : soit tu aimes tous et toujours, faisant attention de te réconcilier, même avec ton adversaire ; soit tu es considéré comme n’aimant personne, ni Dieu, ni ton frère et tu ne dois rien espérer, ni de ton frère, ni de ton adversaire, ni du juge, ni de Dieu. Tu devras assumer la justice dans toute sa rigueur, ce qu’aucun homme n’est capable de faire, puisque nous sommes tous pécheurs.

Et nous ? Nous pouvons nous rappeler une autre sentence, de Saint Jacques celle-là :
13 Car le jugement est sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde, mais la miséricorde l’emporte sur le jugement. (Jc 2, 13)
Si nous vivons la miséricorde, rien de cela ne nous inquiétera… Comment la vivons-nous ?

27 Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère.
28 Eh bien ! Moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur.

Le Seigneur continue exactement de la même manière, mais cette fois-ci, il unifie deux commandements : il y a d’abord celui de l’adultère :
14 Tu ne commettras pas d’adultère. (Ex 20, 14 ; Dt 5, 18))
Et celui de la convoitise :
17 Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient. » (Ex 20, 17 ; Dt 5, 21)
Mais l’originalité est de les faire coïncider car il y a convergence entre les actes (l’adultère) et les intentions (la convoitise). Dès lors, et puisque pour le Seigneur tout repose sur l’amour, peu importe de savoir si le manque d’amour n’est que dans le cœur, dans les intentions, ou s’il se traduit en acte, c’est toujours un manque d’amour qui est condamnable.
Bien sûr, nous pouvons arguer que l’acte est un deuxième péché : d’abord la convoitise ensuite l’adultère et donc deux péchés sont plus graves qu’un seul. C’est vrai mais le Seigneur nous fait comprendre que l’homme est unifié : ce qui se passe dans son cœur est aussi vrai que ce qui se passe par ses mains. Il nous rappelle aussi que l’homme est faible : ce qu’il laisse s’enraciner dans son cœur l’entrainera tôt ou tard à « passer à l’acte » d’une mauvaise manière. Tous ceux qui ont des convoitises intérieures ne commettent pas d’adultère au sens premier du terme, mais d’une façon ou d’une autre, leur respect et leur tendresse seront affectés par ses convoitises.

Et nous ? Sommes-nous conscients de l’unité intrinsèque de nos expériences et de notre responsabilité même vis-à-vis de ce qui n’est encore que pensée ou convoitise ? Sommes-nous prêts à purifier nos façons de penser et de regarder, pour faire progresser notre capacité à aimer ?

29 Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi, car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres que d’avoir ton corps tout entier jeté dans la géhenne.

Cet exemple est si fort pour Saint Matthieu que chose exceptionnelle, il la répète dans un tout autre contexte, plusieurs chapitres plus loin :
09 Et si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans la vie éternelle, que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu. (Mt 18, 9)
L’évangéliste parle alors du scandale infligé aux plus petits. Mais ici, il parle de l’œil comme une occasion de convoitise. Pourtant ailleurs, le Seigneur explique toute l’importance de cet œil :
22 La lampe du corps, c’est l’œil. Donc, si ton œil est limpide, ton corps tout entier sera dans la lumière ;
23 mais si ton œil est mauvais, ton corps tout entier sera dans les ténèbres. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, comme elles seront grandes, les ténèbres ! (Mt 6, 22-23)
On comprend alors comment l’œil peut être occasion de chute puisqu’il peut faire entrer les ténèbres dans la personne. Rappelons- nous cet autre avis du Seigneur :
Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans l’homme, en venant du dehors, ne peut pas le rendre impur,
19 parce que cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, pour être éliminé ? » C’est ainsi que Jésus déclarait purs tous les aliments.
20 Il leur dit encore : « Ce qui sort de l’homme, c’est cela qui le rend impur.
21 Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres,
22 adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure.
23 Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. » (Mc 7, 18-23)
L’impureté est donc dans le cœur de l’homme mais les ténèbres peuvent y être à cause d’un œil impur. Si donc l’œil entraine au péché…

Et nous ? Comment soignons-nous cette lampe de notre corps ? Quel genre de spectacles impurs, indécents, inappropriés acceptons-nous de voir et de regarder ? Sommes-nous vigilants par rapport à tous les écrans que nous regardons, sommes-nous résistants face à tant d’affiches… pour détourner le regard quand il le faut ?
Et à l’inverse, savons-nous regarder ce qui est beau : dans la nature, dans l’art, dans la foi pour illuminer la lampe de nos corps et ne pas laisser les ténèbres seuls dominer en nous ? La prière silencieuse de méditation ou d’oraison peut se faire n’importe où, mais une belle image (icône, statue, crucifix…), un beau panorama et aussi l’exposition du saint Sacrement ou le tabernacle d’une église permettent à la lampe de nos corps de contribuer à la vérité de notre prière…

30 Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi, car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres que d’avoir ton corps tout entier qui s’en aille dans la géhenne.

Il est sans doute inutile de souligner l’importance d’une main. Mais nous pouvons du moins réfléchir à ce que fait cette main en prenant des exemples dans l’Evangile :
la main du travailleur : ici l’agriculteur dans une parabole
Il tient dans sa main la pelle à vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans le grenier (Mt 3, 12)
la main qui donne
Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite (Mt 6, 3)
la main qui guérit
Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » Et aussitôt il fut purifié de sa lèpre. (Mt 8, 3)
Il lui toucha la main, et la fièvre la quitta. Elle se leva, et elle le servait. (Mt 8, 15)
la main qui bénit :
Des gens présentaient à Jésus des enfants pour qu’il pose la main sur eux ; mais les disciples les écartèrent vivement. (Mc 10, 13)
Mais aussi
la main qui condamne
Les autres mirent la main sur lui et l’arrêtèrent. (Mc 14, 46)
la main qui fait violence
51 L’un de ceux qui étaient avec Jésus, portant la main à son épée, la tira, frappa le serviteur du grand prêtre, et lui trancha l’oreille. (Mt 26, 51)
La main comme l’œil peut donc faire du bien ou du mal, si importante soit-elle, Jésus nous invite à la couper, c’est dire si l’enjeu est fort, l’enjeu, c’est le salut et la vie éternelle.

Et nous ? Sommes-nous conscients de ce paradoxe : notre corps est suffisamment une partie de nous pour qu’il soit nécessaire à notre Salut. L’œil, la main… ailleurs le pied aussi ! Pourtant ce n’est pas ce qui vient de l’extérieur mais de l’intérieur de l’homme qui le rend impur (ses intentions, ses pensées, sa volonté) mais tout cela a besoin du corps pour exister. L’œil donne à voir ce que nous allons choisir, convoiter ou pas… la main accueille et donne traduisant ainsi nos choix, nos pensées et guidant les actions et décision à prendre… Nous formons donc un tout où le cœur (au sens biblique du terme : le lieu de la décision, du choix et donc aussi de la rencontre avec son Dieu) est le pivot mais où le corps est à l’origine et au terme de tout. Et pour que ce tout puisse être sauvé, il faut parfois renoncer à une partie ; convoitises ou décisions mauvaises mais aussi l’œil ou la main qui pousse à l’impureté, la violence ou le rejet.
C’est tout entier que nous devons être sains pour être saints !

31 Il a été dit également : Si quelqu’un renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de répudiation.

Voici que maintenant Jésus entre dans les cas concrets et particulier. Il nous parle de répudiation et de rupture de mariage. Il évoque une loi attribuée à Moïse :
01 Lorsqu’un homme prend une femme et l’épouse, et qu’elle cesse de trouver grâce à ses yeux, parce qu’il découvre en elle une tare, il lui écrira une lettre de répudiation et la lui remettra en la renvoyant de sa maison. (Dt 24, 1)
Dans un autre évangile, la question est abordée différemment et Jésus y donne une réponse qui nous éclaire :
02 Des pharisiens l’abordèrent et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? »
03 Jésus leur répondit : « Que vous a prescrit Moïse ? »
04 Ils lui dirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. »
05 Jésus répliqua : « C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle. 
06 Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme.
07 À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère,
08 il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair.
09 Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mc 10, 2-9)
Tout d’abord, il y a le projet de Dieu : celui d’une alliance, d’une union que l’homme ne doit pas séparer. Ensuite, il y a la règle de Moïse que nous avons citée plus haut. Elle est interprétée par les pharisiens : Moïse a permis… mais est-ce vraiment le cas ? Jésus ne parle pas de « loi » mais de « règle ». Il sépare ainsi la volonté de Dieu et la prudence de Moïse. Et pour cette dernière, elle vient de « la dureté de vos cœurs ». Autrement dit elle gère un problème et n’énonce pas un droit. Moïse ne dit pas « vous pouvez répudier », il prend acte que cela arrive et explique ou donne des consignes pour savoir comment agir dans ce cas. Pour éviter que la femme ne soit le jouet du mari qui la chasse, pour éviter que la communauté ne prenne pour adultère celle qui est répudiée et ne la condamne, il fixe une procédure qui lui donne un statut et donc qui la protège. Mais ce que Jésus dit, c’est que la répudiation elle-même ne devrait pas avoir lieu. Que la rupture de cette alliance est mauvaise en soi. Dès lors, la procédure ne fait que limiter les conséquences mauvaises d’un acte qui, lui, reste mauvais.

Et nous ? Pouvons-nous souscrire à cette magnifique vision chrétienne de l’indissolubilité du mariage ? Nous rappelons-nous que toute séparation, divorce et remariage sont autant de situation anormale, souvent source de souffrance (au moins pour l’un des deux, souvent pour les deux conjoints, toujours pour leurs enfants) ? Pouvons-nous résister à l’effet de masse qui fait croire que parce que beaucoup vivent ce genre de drame, c’est finalement quelque chose de banal, de normal voire de bon ?
Pouvons-nous accompagner avec charité ceux qui sont dans ces circonstances tout en continuant de croire et de proposer l’indissolubilité ? Et nous rappelons-nous que les conséquences positives de certaines des nouvelle situations (remariage…) ne sauraient faire d’un mal un bien ?

32 Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d’union illégitime, la pousse à l’adultère ;

et si quelqu’un épouse une femme renvoyée, il est adultère.
Nous sommes donc toujours dans le commentaire de ce même commandement de l’adultère étendue à la convoitise (subjective et intérieure, dans les cœurs, et donc cachée) et au remariage (situation stable et publique) assumé et organisé par la société mais pourtant condamné par le Christ. Là encore, le sens de cette condamnation ne peut être perçu que dans la logique de l’amour de Dieu et du prochain. Il ne s’agit pas de droit et de législation, il s’agit de savoir aimer, de choisir d’aimer, quelles que soient les circonstances. Moïse dit :
« elle cesse de trouver grâce à ses yeux, parce qu’il découvre en elle une tare » (Dt 24, 1)
Jésus nous invite à continuer d’aimer, à apprendre à aimer même avec cette « tare », il nous invite à considérer que l’amour s’adresse à une personne dans tout ce qu’elle est, avec ses qualités et défauts, même ceux que l’on ignorait au jour de l’engagement. Aimer, c’est accueillir aussi, (surtout ?) les faiblesses de l’autre, même si elles nous apparaissent comme des tares (c’est dans notre cœur, c’est subjectif, cela nous renvoie en négatif à la question de la convoitise ; « comme je convoite telle personne qui n’est pas pour moi, de même je convoite telle qualité qui n’est pas dans mon conjoint » !)

Et nous ? Saurons-nous sortir de la conception de l’amour sentiment qui passe forcément pour entrer dans la vision d’un amour décision qui se construit toujours ? Il ne s’agit évidemment pas de condamner qui que ce soit mais de reconnaître qu’une situation n’est pas normale, ne correspond pas au plan initial de Dieu, doit être remise à sa miséricorde.

33 Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne manqueras pas à tes serments, mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur.

Voici qui renvoie au commandement sur la vérité :
16 Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. (Ex 20,16 ; Dt 5, 20)
Mais à cause de la mention finale (serments envers le Seigneur) il faut aussi citer aussi :
03 L’homme qui fait un vœu au Seigneur, ou prend par serment un engagement qui l’oblige lui-même, ne reniera pas sa parole ; il agira en tout selon ce qu’il a dit. (Nb 30, 3)
Et encore :
Vous ne ferez pas de faux serments par mon nom : tu profanerais le nom de ton Dieu. Je suis le Seigneur. (Dt 19, 12)
Ce qui fatalement nous ramène au plus général :
07 Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son nom. (Ex 20, 7)
Ainsi, comme le Seigneur a rapproché les extrêmes : la convoitise et l’adultère, il rapproche ici deux autres extrêmes : le mensonge et le blasphème, deux paroles qui vont contre la vérité : vérité plus ou moins subjective du témoignage jusqu’à la vérité la plus objective de toute, la dignité de Dieu : auteur et créateur de toute chose.

Et nous ? Quel est notre rapport à la vérité ? Nous arrive-t-il de nous autoriser des mensonges ? Sommes-nous conscients que mentir c’est manquer à la Vérité et que Jésus lui-même a dit « je suis la vérité » ? Nous rendons-nous bien compte de la portée de nos mensonges ?
Et quels sont nos combats pour la vérité : travail pour la justice, respect de la vie et des personnes, témoignage de foi… ?

34 Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu,
35 ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Ville du grand Roi.

Voici que la Parole du Seigneur qui vient dépasser la loi, qui vient accomplir la loi, nous invite à éviter les serments et les mensonges, non pas tant dans un souci de vérité que de respect vis-à-vis de Dieu. La Parole rappelée juste avant : Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 14, 6), nous permet de faire le passage. S’attaquer à la vérité (mensonge), c’est s’attaquer à Dieu (blasphème). Mais une fois de plus nous voyons que la loi n’est plus vu comme un ensemble de règles qui guident ou régissent les comportements mais d’abord comme une invitation à aimer. Ici nous sommes invités plus particulièrement à aimer Dieu en lui montrant respect et déférence. Mais puisque cela oblige à dire la vérité à son frère, nous voyons encore une fois combien les deux commandements n’en font qu’un.

Et nous ? Pouvons-nous entrer définitivement dans cette logique d’une loi qui s’accomplit en toute chose dans l’amour de Dieu et du prochain, offert et reçu ? Pour nous en assurer, pouvons-nous tenter de formuler ce que serait cet accomplissement pour les commandements qui n’ont pas été évoqués :
– tu n’auras pas d’autre Dieu que moi
tu ne feras pas d’idole, d’image de Dieu
tu respecteras le jour du sabbat
honore ton Père et ta mère
tu ne commettras pas de vol.
Voici quelques pistes :
Tu n’auras pas d’autre Dieu pourrait être à rapprocher des Paroles sur l’argent :
24 Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent. (Mt 6, 24)
Cela nous renvoie sur le commandement des idoles, il s’agit en effet alors de voir ce qui envahit nos vies au point d’en éloigner le Seigneur, mais aussi de savoir à quoi nous destinons nos biens, comment nous partageons (cf MT 25 :
35 Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;
36 j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”
Et là encore l’amour de Dieu et des frères ne font qu’un.
Tu respecteras le jour du sabbat peut nous orienter sur la question du temps qui ne nous appartient pas mais appartient à Dieu. A nous, il reste donc la fidélité et la vigilance :
42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient. (Mt 24, 42)
Il s’agit bien de dépasser la connaissance de ce qui ne nous appartient pas, pour choisir un amour fidèle et vigilant, un amour rempli de désir et d’espérance.
Enfin, « honore ton Père et ta mère » peut aisément être rapproché de la prière du Seigneur : « notre Père » il faudrait alors tout un parcours dans les évangiles pour écouter ce que le Seigneur nous dit du Père, ce que le Seigneur dit à son Père pour comprendre de quel amour nous sommes invités à vivre en contemplant en Dieu NOTRE PERE.

36 Et ne jure pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir.

Voici que maintenant, le Seigneur nous invite à avoir le même respect pour nous-mêmes qu’Il nous invitait à avoir pour Dieu. De même que nous ne devons pas jurer par ce qui appartient à Dieu ; le ciel, la terre ou Jérusalem, de même nous ne devons pas jurer sur notre tête. Si le passage ou le parallèle entre Dieu et nous et du coup facile à faire, la leçon est plus profonde encore.
La justification n’est pas celle que nous ferions immédiatement : ais autant de respect pour toi-même que pour Dieu. Elle insiste plutôt sur le fait que nous n’avons pas de pouvoir sur notre propre tête, sur nos propres cheveux, sur leur couleur. Autrement dit : « ta tête, c’est bien toi, mais elle ne t’appartient pas, tu ne t’appartiens pas. Ta tête, ta vie, appartiennent à Dieu qui t’a créé, pour cette raison, ne jure pas plus par elle que par le ciel, la terre ou Jérusalem.
Voyons un autre endroit ou le Seigneur nous parle de nos cheveux :
28 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps.
29 Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille.
30 Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés.
31 Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. (Mt 10, 28-31)
Le contexte d’abord est celui du Salut et de la vie éternelle, nous rejoignons bien notre texte, vient ensuite la question de notre valeur aux yeux de Dieu : même nos cheveux sont comptés et nous valons plus que les moineaux. Il ne s’agit pas ici simplement, de répondre au spécisme (une vie vaut une vie quelle qu’elle soit, l’homme n’aurait pas plus de valeur que l’animal). Il est plutôt question de l’amour de Dieu pour l’homme au point que même la chose la plus anecdotique, comme la perte d’un cheveu, revêt de l’importance aux yeux de Dieu qui se préoccupe tant de chacun de nous qu’il se soucie même de cela ! Il s’agit donc bien de notre valeur aux yeux de Dieu, de son amour pour nous.
La leçon à tirer de tout cela est donc que, par respect pour Dieu, on ne jure pas par ce qui lui appartient et qu’il aime, et précisément chaque homme et jusqu’à chaque cheveu de la tête d’un homme fait partie de ces objets de la sollicitude et de l’amour de Dieu.

Et nous ? Pouvons-nous contempler émerveiller et plein de reconnaissance cet amour que Dieu a pour nous, et qui nous dépasse. Pouvons-nous entendre cette citation du prophète Isaïe :
04 Parce que tu as du prix à mes yeux, que tu as de la valeur et que je t’aime (Is 43, 4)
Il nous faut connaître l’amour de Dieu, en prendre conscience et en vivre, en faire l’expérience et le transmettre.

37 Que votre parole soit “oui”, si c’est “oui”, “non”, si c’est “non”.

Cela rapproche d’une parabole bien connue :
28 Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : “Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.”
29 Celui-ci répondit : “Je ne veux pas.” Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla.
30 Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : “Oui, Seigneur !” et il n’y alla pas.
31 Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Ils lui répondent : « Le premier. »
Il est vrai que le contexte n’est pas le même. Cette parabole est là pour opposer les pharisiens qui se prétendent obéissants mais fixent eux-mêmes leur loi, leurs interprétations et donc leurs actions. Pour cela, ils n’accueillent pas la nouveauté du Christ. Les publicains et les prostitués au contraire semblent ne faire que ce qu’ils veulent sans souci de la loi, mais ils ont une disponibilité et une écoute qui leur permettent de se convertir. Il ne s’agit pas de vanter le péché mais de mettre en avant le besoin permanent de conversion.
Ici, il s’agit d’autre chose, il est question de vérité et de confiance. Mais est-ce si différent ? Peut-on faire confiance à celui qui refuse d’écouter, qui ne change pas et pense posséder de manière définitive toute vérité ? Et nous l’avons redit plus haut, c’est Dieu lui-même qui est la vérité. Dire la vérité, être en vérité avec soi et avec les autres, c’est donc être avec Dieu et l’avoir dans son cœur. Jésus a parlé de mensonge et de blasphème, mais ici il nous parle plutôt d’une attitude intérieure, non pas tant tournée vers Dieu et vers les autres que vers nous-mêmes. La vérité envers nous-mêmes est plus que la sincérité. On peut être sincère mais se tromper. Ce que Jésus nous invite à vivre, c’est une pleine adéquation entre ce que nous pensons, disons et vivons. Il y a plus une recherche de cohérence et d’unité intérieure et personnelle. Celle-ci va passer nécessairement par l’amour de Dieu car il est notre Créateur, personne ne nous connait mieux que Lui, pas même nous-mêmes, et cette connaissance est aussi amour :
02 Bénis le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits !
03 Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ;
04 il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse. (Ps 102, 2-4)
Il est aussi Celui qui est UN et qui peut nous aider à chercher cette unité :
21 Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé.
22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes UN :
23 moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. (Jn 17,21-23)
Il est question d’unité entre les disciples dans l’Eglise comme il y a unité entre les trois personnes dans la Sainte Trinité, mais il est aussi question d’une unité intérieure qui témoigne de l’œuvre de Dieu dans le croyant.

Et nous ? Recherchons-nous cette unité intérieure ? La fondons-nous sur le Seigneur ? Avons-nous conscience (peut-être pouvons-nous évoquer un souvenir) de l’intérêt et de la joie d’expérimenter cette unité personnelle et intérieure.

Ce qui est en plus vient du Mauvais.

Il faudrait sans doute ici faire un long parcours dans tous les évangiles pour voir ce que Jésus dit du Mauvais, du démon ou du diable. Mais cela dépasse le présent commentaire. Peut-être pouvons-nous simplement rappeler la triple tentation au désert dont le récit est lu lors du premier dimanche de carême.
La première tentation est celle de changer les pierres en pain. Le Seigneur a été conduit au désert par l’Esprit pour jeûner, il a dit oui. Le diable veut lui faire convoiter de la nourriture et renoncer au jeûne inspiré par l’Esprit mais le Christ dit Non :
Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Mt 4, 4)
Le oui à l’Esprit, le non au diable sont bien clairs, tentation et convoitise viennent du malin.
La deuxième tentation est celle de se jeter dans le vide pour que les anges manifestent à tous la puissance du Fils de Dieu. Le Fils a été envoyé par le Père dans l’humilité de Bethleem et la simplicité de Nazareth, l’Esprit l’a envoyé seul au désert mais le démon veut le pousser vers la gloire des hommes et la notoriété. Le Christ fait passer sa mission et son amour pour Dieu bien avant de telles ambitions :
07 Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. (Mt 4, 7)
Le oui à la mission de Salut par l’Incarnation, le non à une gloire qui serait fondée sur la peur sont clairs ; les ambitions et solutions de facilité viennent du démon.
La troisième tentation est d’obtenir le pouvoir sur le monde en se prosternant devant le démon. Le Père a fait de Lui un petit enfant dans les bras de Marie, appelé à régner dans le ciel et dans les cœurs mais le diable veut en faire un maître de ce monde ici-bas en faisant peser son pouvoir sur les épaules des hommes. Le Seigneur prend cette proposition en horreur :
« Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. » (Mt 4, 10)
Le oui à l’amour révérencieux de Dieu et le non à l’idolâtrie sont clairs, les rêves de puissance viennent du Mauvais.
Ainsi pouvons-nous découvrir combien les intentions de Dieu sont simples (ce qui ne signifie pas que tout soit facile) et que celui qui veut compliquer pour manipuler et tromper, c’est le démon qui veut avancer caché mais qui, en fait, se dévoile par cette duplicité.

Et nous ? Pour bien discerner la volonté de Dieu, il faut donc demander sa lumière qui éclaire et démêle les situations les plus compliquées ; il faut demander la force de Dieu qui nous évite les solutions de facilité ou les raccourcis qui égarent ; il faut avoir confiance et humilité pour choisir ce que Dieu veut, plutôt que ce qui pourrait nous séduire ; il faut courage et ténacité pour chercher et écouter ce que l’Esprit nous suggère ou nous inspire contre les tendances de la convoitise ou de la jalousie. Ce sont les dons du Saint Esprit qui sont là et nous donnent de résister à ce qui vient du mauvais. Y avons-nous recours ? Cherchons-nous à développer notre intimité avec l’Esprit pour que ces dons vivent et agissent en nous ?

En guise de conclusion :
Tout ce texte nous montre comment Jésus vient reprendre à son compte la loi de Dieu, en la transcendant. Il n’en rejette rien mais la fait passer de l’observance et du droit au choix d’amour pour Dieu et pour les frères. Cela n’enlève rien aux exigences de Dieu, mais au contraire, la volonté divine, qui est amour depuis toujours, est ainsi remise au cœur de tous nos projets, de toutes nos vies. Nous avons ainsi un critère de discernement simple : mon action est-elle une œuvre d’amour pour Dieu et mes frères, pas seulement pour Dieu ou seulement pour les frères, car ces deux amours, quand ils sont vrais, ne font qu’un. La loi de Moïse, qui aidait à se garder du mal, trouve donc son accomplissement total dans la loi du Christ et de l’Esprit qui pousse à aimer, à choisir d’aimer et à persévérer dans l’amour de Dieu et des frères.