Lectio Divina du dimanche 16 octobre 2022

Avant tout, je vous propose un temps de prière autour du texte d’évangile, selon la méthode dites de la « lectio divina » (lecture divine, lecture de la Parole divine) en groupe (la famille ou personnellement) la méthode est juste ci-dessous.

Ensuite, je reprends le texte et vous invite à une méditation partie par partie. Cela devrait vous aider à mieux comprendre le texte et à mieux l’assimiler, mais rien ne vaut le temps de prière initial.

         Bonne réflexion et prions les uns pour les autres !

Père Christophe

 

LECTIO DIVINA : LA MÉTHODE

1- lire silencieusement le texte évangélique pour une meilleure compréhension

2- lire à haute voix (une personne) sans lenteur ni précipitation

Silence pour intérioriser (3 minutes)

Expression libre : chacun est invité à dire le groupe de mots du texte qui lui parle, le touche ; les autres écoutent et accueillent sans questions ni commentaires

3- Relire le texte à haute voix (une autre personne)

Silence pour intérioriser (5 minutes) : qu’est-ce qui me parle aujourd’hui ; comment cela touche-t-il ma vie ?

Expression brève pour ceux qui le souhaitent

4- relire le texte à haute voix (une troisième personne)

Silence pour intérioriser (5 minutes) : Quelle prière monte en moi ?

Expression libre et brève d’une prière

Terminer par un Notre Père en commun

 

Evangile de Jésus Christ selon st Luc (Lc 18, 1-8)

01 Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager :

02 « Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes.

03 Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : “Rends-moi justice contre mon adversaire.”

04 Longtemps il refusa ; puis il se dit : “Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne,

05 comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.” »

06 Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice !

07 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ?

08 Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

 

Lecture ligne à ligne

01 Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager :

Depuis le verset 20 du chapitre précédent (17), les pharisiens, les disciples et Jésus se sont engagés dans une discussion eschatologique, c’est-à-dire qui concerne la fin des temps, le jugement et le salut :

20 Comme les pharisiens demandaient à Jésus quand viendrait le règne de Dieu, il prit la parole et dit : « La venue du règne de Dieu n’est pas observable. (LC 17, 20)

Et ensuite :

22 Puis il dit aux disciples : « Des jours viendront… (Lc 17, 22)

C’est donc dans ce contexte qu’il faut recevoir ce texte et donc la parabole qui va suivre.  Il ne s’agit pas seulement de vie quotidienne mais aussi de recherche et de chemin vers le Salut.

Notons aussi que l’Evangéliste nous dit le sens ou la visée de cette parabole. Ce n’est pas si souvent. Nous avons souvent l’objet : « le royaume des cieux est comparable… » ou bien les personnes à qui la parabole est destinée :

02 Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »

03 Alors Jésus leur dit cette parabole … (Lc 15, 2)

Et aussi

09 À l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici … (Lc 18, 9)

Mais une parabole, dont la conclusion est donnée avant même qu’elle ne soit énoncée, voilà qui est plus rare. C’est qu’elle comporte quelques surprises et pourrait nous décontenancer.

Enfin, il faut aussi comprendre que le Seigneur a parlé de sa venue :

24 En effet, comme l’éclair qui jaillit illumine l’horizon d’un bout à l’autre, ainsi le Fils de l’homme, quand son jour sera là. (Lc 17, 24)

Puis il s’est appuyé sur les exemples du premier Testament pour nous avertir de la soudaineté de cette venue et de son imprévisibilité :

30 cela se passera de la même manière le jour où le Fils de l’homme se révélera. (Lc 17, 30)

Imprévisibilité qui sera aussi la conséquence du choix de Dieu sur des critères que nous ignorons :

34 Je vous le dis : Cette nuit-là, deux personnes seront dans le même lit : l’une sera prise, l’autre laissée. (Lc 17, 34)

Mais à présent, Il nous dit comment nous pouvons nous préparer à cet imprévisible : nous ne savons pas quand, ni comment, mais nous savons que le Seigneur vient, il nous faudra être prêt et pour cela il faut « prier sans se décourager ». Le mot « décourager » nous fait comprendre qu’il n’y a pas seulement à être patient puisque nous ignorons la date, mais aussi qu’il nous faut être persévérant car la liberté de Dieu, qui répond quand et comme Il veut et non selon nos souhaits ou nos attentes, pourrait nous apparaitre comme un silence, un désintérêt ou une absence.

Et nous ? Est-ce que nous vivons notre vie sur terre en préparant notre vie éternelle ? Pouvons- nous identifier des choses que nous faisons ou voudrions faire (même si on n’y arrive pas toujours) parce que nous espérons la vie éternelle, chose qui n’auraient pas de sens si nous n’avions pas cette espérance ? Pouvons-nous nous motiver, nous remotiver, en nous rappelant que pour Dieu, nous sommes tous faits pour cette vie éternelle, et que nous seuls, pouvons-nous en priver ?

02 « Il y avait dans une ville un juge

La ville évoque le lieu de vie des hommes, un terme aussi imprécis. « une ville » montre que c’est une désignation générale, que Jésus veut parler de la vie des hommes en général.

Le juge, habituellement, c’est Dieu ; ainsi avant la destruction de Sodome et Gomor, lors de sa prière, Abraham dit :

Ne pardonneras-tu pas à toute la ville à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ?

25 Loin de toi de faire une chose pareille ! Faire mourir le juste avec le coupable, traiter le juste de la même manière que le coupable, loin de toi d’agir ainsi ! Celui qui juge toute la terre n’agirait-il pas selon le droit ? » (Gn 18, 24-25)

 Et quand David pourtant pourchassé a épargné le roi Saul et qu’il lui réclame justice :

16 Que le Seigneur soit notre arbitre, qu’il juge entre toi et moi, qu’il examine et défende ma cause, et qu’il me rende justice, en me délivrant de ta main ! » (1 S 24, 16)

Voyez ici qu’il n’y a rien à craindre de ce juge, mais qu’on peut attendre de Lui en toute confiance ce qui est vraiment juste.

Et nous ? Faisons-nous confiance à Dieu pour nous montrer ce qui est juste ? Et pour nous obtenir toute justice ? Mais avons-nous la conscience assez droite pour désirer la justice ?

qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes.

Voici la première surprise. Le juge, habituellement, désigne Dieu, mais voici un juge qui est décrit comme inique, sans justice… Il va donc nous falloir revoir notre première interprétation !

La description de son injustice est aussi intéressante car elle est le pendant directe, ou l’opposée du grand commandement :

36 « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »

37 Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.

38 Voilà le grand, le premier commandement.

39 Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

40 De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » (Mt 22, 36-40)

Chacun de ces deux commandements qui n’en font qu’un a pour objet, Dieu ou le prochain, comme les deux irrespects du juge sont pour Dieu et les hommes. Or Jésus a bien précisé que des deux commandements « dépendent toute la Loi, ainsi que les Prophètes ». En le décrivant ainsi, Il fait de ce juge l’injuste complet, parfait.

Et nous ? Nous voici avec ce double critère de justice, est-ce que nous respectons les hommes ? Quel amour avons-nous pour notre prochain ? et quelle est notre crainte de Dieu ? Bien sûr pour nous, il faut souligner une fois de plus que la crainte de Dieu n’est pas la peur de Dieu. Il ne s’agit pas de la crainte servile, celle du serviteur devant son chef, qui craint réprimandes et punitions car il est en infériorité dans un rapport de force et de pouvoir avec son chef. Il s’agit de crainte filiale, ce sentiment du fils pour son père, plein d’amour et de respect, qui reconnait la grandeur et l’autorité de son père, qui fait confiance pour recevoir conseil, soutien, assistance et correction, mais toujours dans la justice et le respect, toujours pour le bien et la croissance. Alors ? Craignons-nous ainsi notre Dieu ?

03 Dans cette même ville, il y avait une veuve

La veuve est à la fois l’image de la pauvreté et de la faiblesse comme la pauvre veuve du temple :

01 Levant les yeux, il vit les gens riches qui mettaient leurs offrandes dans le Trésor.

02 Il vit aussi une veuve misérable y mettre deux petites pièces de monnaie.

03 Alors il déclara : « En vérité, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres.

04 Car tous ceux-là, pour faire leur offrande, ont pris sur leur superflu mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle avait pour vivre. » (Lc 21, 1-4)

et aussi la veuve de Sarepta dont Elie fut le sauveur et que Jésus donne en exemple à Nazareth :

25 En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ;

26 pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère. (Lc 4, 25-26)

Mais c’est aussi l’image de la tristesse et du malheur comme la femme de Naïm :

12 Il arriva près de la porte de la ville au moment où l’on emportait un mort pour l’enterrer ; c’était un fils unique, et sa mère était veuve. Une foule importante de la ville accompagnait cette femme.

13 Voyant celle-ci, le Seigneur fut saisi de compassion pour elle et lui dit : « Ne pleure pas. » (Lc 7, 12-13)

Elles sont enfin l’image de ces personnes vulnérables dont on abuse facilement mais que Dieu défendra :

46 « Méfiez-vous des scribes qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues et les places d’honneur dans les dîners.

47 Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. » (Lc 20, 46-47)

Si Jésus parle de cette femme en parabole, c’est donc, non seulement pour parler de l’humanité, mais en plus d’une humanité blessée pauvre et misérable, à la merci des gens et des événements.

Et nous ? Savons-nous voir ceux que la société ne voit plus ou ne veut pas voir ? Savons-nous considérer ceux qui sont considérés comme sans valeurs et sans dignité ? A l’heure où se réfléchissent des lois qui voudraient condamner à mort des personnes âgées ou malades soi-disant consentantes, plutôt que de les accompagner pour qu’elles redécouvrent leur dignité, la puissance et la beauté de la vie, la joie d’aimer et d’être aimées, saurons-nous voir ces pauvres, ces exclus là-aussi ?

qui venait lui demander : “Rends-moi justice contre mon adversaire.”

Cette femme en situation si précaire n’hésite pourtant pas à demander. Noter que le verbe est à l’imparfait et non au passé simple ; il ne s’agit pas d’une demande ponctuelle mais d’une attitude de demande, une demande constante et qui dure.

Elle ne demande rien d’extravagant, seulement la justice. Elle ne demande pas de gagner, elle ne demande pas d’argent ou d’honneur, elle demande seulement la justice. C’est d’autant plus remarquable qu’elle s’adresse à un juge, dont la raison d’être est précisément la justice mais dont la description, donnée précédemment est au contraire l’iniquité.

S’il n’y a rien d’extravagant, il semble donc que la demande soit inutile ou vouée à l’échec, hors de la réalité ou sans aucune probabilité d’aboutir. Il y a donc de la part de cette femme une confiance et même une espérance contre tout espoir ; elle ne fait pas confiance au juge mais à la justice, elle sait son bon droit et cela lui suffit.

Et nous ? Saurons-nous voir dans cette femme l’image même de l’humanité en prière ? Saurons-nous prier comme elle demandait ? Notre prière est-elle celle d’un enfant qui sait qu’il a besoin d’un père, ou d’un pauvre qui sait qu’il a besoin d’aide ? Notre prière demande-t-elle ce qui est juste et bon ou bien est-elle un rêve d’impossible, de merveilles qui nous dépassent ? Notre prière est-elle remplie d’espérance ? Notre prière est-elle persévérante et constante ?

04 Longtemps il refusa ;

Cette simple mention montre l’iniquité de ce juge mais aussi la persévérance, la constance de cette femme. Si elle représente l’humanité priante, cette phrase nous met face à ce que nous appelons : « le silence de Dieu ». La prière semble se perdre, comme si elle n’était pas entendue, en tout cas pas exaucée.

 Et nous ? Bien souvent, nous avons l’impression de parler dans le vide, d’être ignorés ou méprisés. Nous pouvons alors nous révolter ou bien nous décourager et considérer tout cela comme inutile, mais nous pouvons aussi persévérer dans la foi, continuer dans l’espérance, faire confiance à Dieu qui répond quand et comme il veut. Rappelons-nous que le peuple d’Israël attendait un messie depuis plus de mille ans, rappelons-nous que Elisabeth et Zacharie étaient déjà avancés en âge quand l’ange leur a promis un fils, Jean le Baptiste, tout comme l’étaient Abraham et Sarah avant de recevoir Isaac, ou Anne avant de recevoir Samuel… La réponse de Dieu ne traine pas : elle vient au bon moment, c’est nous qui ignorons ce meilleur instant et qui sommes impatients.

Nous sommes dans une année de prière pour les vocations. Nous pouvons avoir l’impression que Dieu refuse de nous donner des prêtres, des religieux et des religieuses, mais nous pouvons aussi accepter que Dieu nous invite à la persévérance et à la patience et qu’il prépare les cœurs et le jour où nous pourrons accueillir ces prêtres dont nous avons besoin.

puis il se dit : “Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne,

Voici une introspection réaliste. Il ne semble pas avoir mauvaise conscience. Il semble presque fier de lui. Il fait penser au riche insensé :

18 Puis il se dit : “Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens.

19 Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.”

20 Mais Dieu lui dit : “Tu es fou (Lc 12, 18-20)

Celui-là aussi se tourne vers lui-même, fait une introspection qui le conduit au mépris des autres. Quand on est obnubilé par sa richesse, sa puissance ou son pouvoir, l’introspection nous renvoie à nous même et nous enferme dans nos cœurs trop étroits. Dans le cas contraire, quand on se sait pauvre et dépendant, quand on cherche l’aide des autres ou à les servir, alors l’entrée en nous même est un moyen de découvrir le chemin qui mène vers Dieu et vers les frères comme l’a vécu le fils prodigue :

17 Alors il rentra en lui-même et se dit : “Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim !

18 Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. (Lc 15, 17-18)

Lui le fils dispendieux se met au rang des ouvriers, et surtout lui, qui a trahi et abandonné, se retourne vers son père et reconnait sa faute.

Et nous ? Quelle intériorité vivons-nous ? Prenons-nous le temps de ne pas tout vivre dans l’immédiateté mais de regarder les choses, les gens, les événements en vérité et en profondeur. Laissons-nous notre intelligence et notre cœur soupeser la justice et la bonté des choses, et aimer les personnes ? Notre vie intérieure nous tourne-t-elle vers nous même ou nous ouvre-t-elle aux autres et à Dieu ?

05 comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.” »

La justice est instrumentalisée pour la paix de ce juge ; la femme est perçue comme une occasion de gène tant qu’elle demande ou de tranquillité si on s’en débarrasse ! La décision qui est pourtant la bonne : « je vais lui rendre justice » est prise pour de si mauvaises raisons qu’elle devient cynique, égoïste. Le bien sera donc accompli, mais ce sera pour le malheur de cet homme !

Et nous ? Pouvons-nous vérifier la bonté et la justesse non seulement de nos actions mais aussi de nos motivations ?

06 Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice !

Voici que, comme dans l’histoire de l’intendant malhonnête, nous sommes invités à prendre en exemple un juge inique comme nous avions l’exemple d’un intendant malhonnête ! Bien sûr, ce n’est ni la malhonnêteté, ni le manque de justice qui sont mises en avant mais les actions de ces personnes dans ce qu’elles ont de meilleur. L’intendant malhonnête a su se faire des amis en se servant à dessein de l’argent. Le juge a rendu justice à la veuve. Le vol de l’un n’est pas oublié, pas plus que l’égoïsme de l’autre ; ce qui est mis en avant, c’est l’ingéniosité pour se faire des amis ou la justice rendue. Autrement dit : vous aussi, faites-vous des amis avec votre argent (mais ne soyez pas malhonnêtes pour autant) ; vous aussi, faites justice à qui de droit (pas pour vos intérêts ou par facilité).

Et nous ? Sommes-nous capables de faire ainsi la différence entre ce qui est bien et mal ? Pouvons-nous tirer de bonnes leçons même de circonstances mauvaises ? N’est-ce pas cela avoir le cœur pur, comme nous y invite une béatitude :

08 Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. (Mt 5, 8)

Le cœur pur ne se laisse pas entrainer au mal, sans quoi il ne serait pas pur, mais il est capable en toute chose de voir ce qui est bon. C’est pourquoi sur cette terre, il reconnaîtra l’image de Dieu en chaque homme même le plus mauvais. Dés ici-bas il verra donc Dieu. Mais au ciel, plus rien ne l’empêchera de contempler celui qui est la source de toute pureté, de toute bonté, pour toujours, il verra Dieu.

07 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ?

J’avais prévenu que nous pourrions être décontenancés par cette parabole, voilà la surprise : nous reconnaissons la veuve dans la description : « ceux qui crient jours et nuit » ; la veuve représente donc bien les élus, cette humanité blessée mais qui se tourne vers Dieu et obtiendra justice et miséricorde. Mais alors, nous devons reconnaitre Dieu sous les traits de ce juge… Nous avions repoussé cette idée car le juge est inique et que Dieu est le juste par excellence. Mais ici, c’est le Seigneur lui-même qui nous dit que ce juge doit nous faire comprendre l’action de Dieu ! Bien sûr, la comparaison n’est pas d’égalité mais simplement de proportion. On pourrait reformuler ainsi : si même ce juge, qui pourtant est injuste, rend la justice, combien plus Dieu qui est un juste juge, la rendra. Il n’en reste pas moins que dans son humilité, le Christ n’hésite pas à se comparer à un homme mauvais, au dernier des hommes pour nous faire comprendre la leçon qu’il veut nous donner.

Et quelle est cette leçon ? Elle nous a été exposé dès le début « il faut prier sans se décourager ».

Mais pourquoi prendre une figure mauvaise ? Pour répondre à ceux qui jugent mal Dieu. Tous ceux qui ne supporte pas que Dieu ne leur réponde pas tout de suite, tous ceux qui n’acceptent pas que Dieu ne fasse pas exactement ce qu’ils veulent et comme ils le veulent… Tous ceux qui disent : Dieu n’écoute pas, Dieu ne répond pas, Dieu n’exauce pas. Bref, tout ceux qui voient en Dieu un tyran qui ne s’intéresse pas aux hommes sauf pour sa propre gloire, pour qu’ils le servent et le louent, tout ceux qui considèrent que Dieu est injuste car s’il était juste, il n’y aurait pas de guerre, de famine, de maladies… Tous ceux qui le prennent pour un juge inique puisque les méchants, les injustes, les malhonnêtes ne sont pas punis par lui et même parfois ont la vie douce et agréable, plus que les gens honnêtes… A tous ceux-là, Jésus, Dieu, dit « vous me voyez ainsi et bien sachez comment agissent ces gens-là et comprenez ce que je ferai pour vous. »

Et nous ? Quelle image avons-nous de Dieu : un Père ? Un patron ? Un Juge ? Une personne indifférente à notre égard ? Une puissance aveugle et sourde ? Un tyran ? Un grand vide ?

Pouvons-nous accepter que Dieu sache mieux que nous ce qui est bon pour nous et donc que sa réponse et son action sont plus justes que tout ce que nous aurions pu imaginer ou désirer ?

Les fait-il attendre ?

Cette question est sûrement celle qui nous prend le plus à contre-pied. En effet, même pour ceux qui sont remplis de foi, de confiance et d’espérance, nous constatons que Dieu travaille aussi notre patience et notre persévérance. Nous savons que ce n’est ni par méchanceté, ni par mépris, pour notre bien, mais tout de même, il nous fait attendre !

Faisons un petit détour par la deuxième lettre de saint Pierre :

08 Bien-aimés, il est une chose qui ne doit pas vous échapper : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour.

09 Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion.

10 Cependant le jour du Seigneur viendra, comme un voleur. Alors les cieux disparaîtront avec fracas, les éléments embrasés seront dissous, la terre, avec tout ce qu’on a fait ici-bas, ne pourra y échapper. (2 pi 3, 8-10)

Le premier point de comparaison est celui du contexte : nous sommes bien dans une réflexion sur la fin des temps et le salut. Le second point de comparaison est l’adresse à ceux qui pensent que le Seigneur tarde, qu’il nous fait attendre. Le troisième point de comparaison est dans l’affirmation que le Seigneur viendra ou que la justice sera rendue. Nous sommes bien sur les mêmes thèmes.

La réponse de St Pierre nous oblige à une conversion : ce n’est pas Dieu qui tarde mais nous. Dieu retarde son jugement car nous tardons à nous convertir. Autrement dit, c’est Dieu qui est patient avec nous.

Dans le cadre de notre parabole, il n’y a rien de cela, du moins semble-t-il. Mais la réponse de st Pierre comporte un autre élément : le temps n’est pas le même pour Dieu et pour nous. Nous sommes incapables d’appréhender le bon moment car nous n’avons pas une vue d’ensemble : Dieu ne fait donc pas durer le temps ; pour un Dieu éternel, cela n’a pas de sens, Dieu choisit le bon moment, bon moment pour nous, car il ne veut pas que nous soyons perdus, il veut notre conversion. Voilà qui pourrait plus faire penser à l’attitude de la veuve qui continue de demander sans se lasser, en guettant le bon moment, celui où on lui fera justice. Nous sommes donc invités nous aussi à être prêts pour le jour de Dieu, tout en continuant de prier sans nous lasser. Dieu est patient envers nous, et nous sommes patients dans l’attente du jour favorable décidé par Dieu.

Mais Dieu n’est pas représenté par la veuve, il est représenté par le juge… et ce que montre le verset suivant.

Alors ? Sommes-nous prêts à faire confiance à Dieu qui sait quel est le bon moment pour nous faire grâce ? Saurons-nous, comme la veuve, rester vigilants et confiants pour accueillir cette grâce quand elle viendra ? Pouvons-nous dire « non, Dieu ne nous fait pas attendre, il nous convertit et nous prépare au salut » ?

08 Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice.

L’expression traduite ici par « bien vite » pourrait aussi être traduite par « subitement » ou « soudainement » ou « d’un seul coup ». Autrement dit, quand ce sera le bon moment, le Seigneur ne trainera pas, il ne fera pas attendre ou languir, quand le moment est là, la grâce vient d’un seul coup dans toute sa beauté et sa bonté.

L’usage de l’indicatif, même au futur, montre que la chose est certaine est assurée, nous pouvons y croire et compter dessus : c’est une promesse de Dieu.

Et Dieu fait justice comme le juge a fait justice. Il ne le fait pas quand il ne résiste plus aux demandes mais quand le temps est favorable. Mais comment le temps pourrait-il devenir favorable ? Nous l’avons déjà dit, ou plutôt st Pierre nous l’a dit, c’est quand nous serons convertis et qu’ainsi, il n’y en aura pas un à se perdre. Mais la conversion est une grâce de Dieu. Il nous donne la foi pour le connaître, l’espérance pour nous appuyer sur lui et la charité pour l’aimer et le choisir de préférence à toutes autres choses. Il nous donne l’intelligence pour l’entendre, la science pour le comprendre, la sagesse pour le choisir, le conseil pour le suivre et la force pour demeurer avec Lui… Tout cela, il le fait sans que nous l’ayons demandé, pour nous préparer à recevoir ce que nous voulons vraiment : le salut et la vie éternelle. Il ne nous fait donc pas attendre, mais il nous prépare, et nous comble, non pas de ce que nous demandons, mais de ce dont nous avons besoin ; non pas de ce que nous voulons, mais de ce qu’il faut pour pouvoir obtenir ce que nous voulons. Il ne nous fait pas attendre, il nous fait grâce tout de suite, mais dans notre orgueil nous ne voyons pas que nous ne sommes pas prêts ; dans notre impatience, nous ne comprenons pas le chemin qu’il nous fait faire ; dans notre ingratitude, nous ne goûtons pas ces bienfaits qu’il nous a déjà faits.

Et nous ? Sommes-nous capables de regarder plutôt ce que Dieu nous donne, que ce que nous voulons ou désirons encore ? Sommes-nous capables de reconnaître nos faiblesses et le chemin qu’il nous faut encore parcourir ou bien, comme des enfants gâtés, exigeons-nous tout et tout de suite ? Voulons-nous d’un Père qui fait grandir, ou d’un distributeur automatique de grâce qui nous encourage à l’égoïsme, à la paresse et à la médiocrité ?

Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

De nouveau une promesse : le fils de l’homme viendra. De nouveau, l’évocation d’un temps favorable : celui où le Fils de l’homme viendra. Mais cette fois un cri déchirant, une angoisse : l’homme répondra-t-il à la patience amoureuse de Dieu ? Accueillera-t-il le don que Dieu lui fait maintenant pour le préparer à ce jour-là ? L’homme mettra-t-il sa foi en Dieu ?

Et nous ? Avons-nous la foi ? Il ne s’agit pas seulement d’avoir la conviction que Dieu existe, ni même de savoir que Dieu nous aime, mais de vivre de cette foi plus profonde et existentielle qui fait que tous nos choix, que le sens même de notre vie, dépendent intimement et totalement de ce rapport de connaissance, d’adhésion, de soumission amoureuse, de confiance et d’union à Celui qui veut nous donner sa vie, la vie éternelle.

 

En guise de conclusion : Voici une fois de plus une parabole qui semble simple à première vue mais qui révèle bien des surprises.

Nous y voyons Dieu qui assume le visage que les hommes à la foi chancelante veulent lui attribuer : celle d’un juge lointain et parfois silencieux, à la justice incompréhensible pour ne pas dire sans justice.

Nous y voyons Dieu qui accepte d’être comparé, de se comparer à un homme mauvais pour permettre aux plus faibles, à ceux qui n’ont pas encore la foi ou en tout cas à ceux qui ne peuvent pas vraiment s’identifier à celle qui a le beau rôle, la veuve, et ainsi de prétendre avoir gain de cause contre Dieu alors qu’en fait, c’est par lui et avec lui qu’ils obtiendront justice.

Nous y voyons aussi une logique, annoncée dès le début : il faut prier sans se décourager, ce qui pourrait sembler chanceler à la fin tant le cri ultime, semble traduire une angoisse du fils de Dieu lui-même sur l’humanité et sa capacité à accueillir le Salut. Le Seigneur lui-même ne serait-il pas en train de se décourager ? C’est la suite de l’évangile : la prière sacerdotale rapportée par l’apôtre st Jean, l’intercession du Christ en croix sur ses propres bourreaux ou la prière pour Pierre, pour qu’il affermisse ses frères, qui nous montre que précisément, Jésus, jusqu’à son dernier souffle sur la Croix a prié sans se décourager, et qu’ainsi, il obtenu du juste juge le salut de ses frères les hommes.

Nous y voyons, si nous le voulons bien, une invitation très concrète, non seulement à la prière mais à une vie de foi, une foi totale qui donne sens à la vie, qui guide les choix et justifie les actions, une foi qui fait vivre sur la terre déjà ce que nous expérimenterons pleinement au ciel : la communion avec le Christ, avec son Père dans l’Esprit et avec tous nos frères.